mardi 24 juin 2014

J'ai lu "Chemin d’Assise. L’aventure intérieure" d'Olivier Lemire



Olivier Lemire
Chemin d’Assise. L’aventure intérieure
Éditions Bayard / éditions Franciscaines 2014
168p, 19€

Pourquoi marcher vers Assise, alors qu’il existe tant d’autres chemins célèbres et fréquentés (le GR5, Compostelle…) ? Et d’ailleurs, pourquoi partir, pourquoi marcher ? Pourquoi se coltiner avec « des soirées solitaires et des lits de fortune ; l’odeur aigre des aisselles en fin de journée et le bruit des alaises en plastique dans les chambres d’hôtel ; le crépitement de la pluie sur le coupe-vent et les crocs des chiens évités de justesse au sortir des hameaux » ? Mais pour les vrais marcheurs, les voyageurs, il est sans doute impossible de rester en place, sur place. Peut-être que le quotidien offre trop de routine, pas assez de piment. Il y a mille raisons de voyager, comme l’écrit par exemple Sylvain Tesson dans Géographie de l’instant : « pour dissoudre sa mélancolie dans le bain du monde » ou tout simplement « pour saluer la beauté du monde. » Olivier Lemire, comme un mécréant, se met en marche vers un lieu saint. « J’ai devant moi l’étendue de mon avenir. »

Si au départ de Vézelay « les jambes sont un peu frêles » et que « le corps supplie qu’on lui évite les vertus supposées des pas mis les uns en avant des autres », Olivier Lemire a « l’optimisme indispensable au cheminement pédestre » ; il l’a déjà montré dans ces récits précédents L’esprit du chemin, et L’homme qui marche. Il sait que « pour trouver la force on ne peut compter que sur soi. » Alors il se met en chemin « avec comme mot d’ordre des mots à la fois démodés et infiniment modernes : pauvreté, obéissance, chasteté. » Comme ce François, cet homme qui faisait sensation « avec sa bure grossière. »

Olivier Lemire fait bien sûr l’éloge du chemin, des sons et des odeurs, et de la pluie. Il pleut beaucoup lorsqu’on chemine. Dans le Morvan ou ailleurs. Pourtant, la nature « n’est jamais triste, c’est nous qui le sommes à sa place. » Il se baigne nu, comme « le fou d’Assise », à une époque où être nu était le signe du condamné, le chemin vers la mort. Mais le chemin d’Assise est un chemin de vie. C’est quand on a bien les pieds sur terre que l’on a l’esprit le plus ouvert. Et le plus important quand on est en chemin ce sont bien les rencontres. Des rencontres qu’il ne ferait probablement pas si la route ne l’avait pas dépouillé du poids superflu des certitudes et de préjugés. Ainsi, Ardi, la « femme pauvre » aurait peut-être été vue comme une « pauvre femme » Avec Roland, un « échange inégal » mais « intime » aurait pu n’être qu’un « dialogue de sourd ». Le chemin, la vision du chemineau changent tout : « pour aimer ce qui est autre, il faut s’arrêter en chemin, et observer l’étrangeté de ce qui n’est pas soi. A force d’être vue, la différence devient familière. »

Olivier Lemire est parti de Vézelay, a traversé la Bourgogne, le Beaujolais, le Bugey, les Alpes, ces « monts affreux » qui ont tant effrayé les voyageurs avant de devenir un terrain de loisir. Laissons ici Olivier et ses lecteurs, dans cette descente vers Turin, puis vers Florence et Assise, sous le ciel de l’Ombrie. A chacun de continuer ce chemin, le chemin du marcheur, le chemin de l’écrivain voyageur, et celui du lecteur. Il était une fois… Ou plutôt : Alors, Olivier Lemire, comme un mécréant, se mit en marche vers un lieu saint…

Depuis plusieurs années, Olivier Lemire, né en 1959, arpente la France à pied. Écrivain voyageur, photographe, il a publié Celui qui marche (Cherche midi, 2009), L'esprit du chemin (Transboréal, 2011), Mercantour, l’esprit des lieux (Gilletta éditions, 2011).

dimanche 11 mai 2014

J'ai relu Les autonautes de la cosmoroute, de Carol Dunlop et Julio Cortazar



Carol Dunlop et Julio Cortazar
Les autonautes de la cosmoroute
Gallimard, 1983. 
Traductions de l’espagnol par Laure Guille-Bataillon et Françoise Campo

La célébration d’écrivains argentins au salon du livre de Paris en 2014 nous donne l’occasion de nous replonger dans la littérature de ce pays. Et par exemple dans ce récit, pas du tout argentin. Mais au départ un projet original : faire le voyage de Paris à Marseille en camping-car sans quitter l’autoroute une seule fois ; visiter deux parkings par jour en passant toujours la nuit dans le deuxième ; prendre note de toute observation pertinente ; écrire le livre de l’expédition en « s’inspirant peut-être des récits de voyages des grands explorateurs du passé. » Le projet littéraire : « raconter d’une façon tout à fait littéraire, poétique et humoristique, les étapes, événements et expériences divers que va nous offrir sans doute un voyage aussi étrange. » Résultat : Les autonautes de la cosmoroute, Un voyage intemporel Paris - Marseille par Carol Dunlop et Julio Cortazar.

L’autoroute n’est peut-être pas seulement « un ouvrage moderne minutieusement étudié pour permettre à des voyageurs, enfermées dans des capsules à quatre roues, de parcourir (rapidement) un trajet. » Mais qu’allait-il se passer avec une progression au ralenti alors que tout le monde fonce à toute allure ?

Départ: le dimanche 23 mai 1982, quelque part dans le Xe arrondissement. Arrivée mercredi 23 juin 1982. Résultat : les voyageurs n’ont rien vu de l’autoroute, ou presque rien. Tout s’est passé sur les parkings. Là, sur ces grandes aires qui voient « naître chaque soir une petite ville éphémère la plus internationale du monde » il y a eu matière à notes, articles, photos. Les voitures, les camions aux bâches sans raison sociale, leurs occupants adultes, enfants, animaux, les jardiniers des aires, les poubelles, les arbres… composent toute une poésie souvent ignorée. Dans une prose mêlant humour (beaucoup), détachement, mélancolie (parfois, à cause du sujet sans doute, mais aussi de la maladie et du répit qu’elle laisse momentanément à Carol), les deux auteurs se relaient pour proposer un mélange de livre de bord, récit de voyage, enquête ethnographique et reportage photos.

Étrange bouquin quand même. Non pas tant à cause du point de départ, qui est une idée saugrenue mais pourquoi pas, que pour le résultat : est-ce la métaphore d’une rencontre amoureuse : le livre commence par des « préliminaires »; et il est parsemé de passages érotiques. Est-ce un récit de voyage ? Il ne figure pas dans les anthologies de ce genre. Un album photos des années 80 ? Un dialogue littéraire entre deux être que la mort va bientôt séparer ? Le récit est parfois très « détaché », très décalé, mais il faut reconnaître qu’il y a une certaine musicalité et que tout ça a une certaine allure. A propos de musicalité : à lire en écoutant une musique qui fait penser au voyage, à la route, quelque chose de tendre et violent à la fois, d’un peu électrique. A mon avis, une compilation de Neil Young ferait parfaitement l’affaire.

Julio Cortazar est né à Bruxelles de parents argentins en 1914. Il a longtemps vécu en France et il a notamment obtenu le prix Médicis étranger en 1974. Il est décédé en 1984. Carol Dunlop, sa compagne de la fin de sa vie était elle aussi écrivain. Elle est morte deux ans avant Cortazar, le 2 novembre 1982, à l'âge de 35 ans.

jeudi 24 avril 2014

J'ai lu "Ienisseï" suivi de "Russie blanche" de Christian Garcin



Christian Garcin
Ienisseï suivi de Russie blanche
Récit
Éditions Verdier 2014
96p, 11.80€


Ça n’est pas la première fois que Christian Garcin voyage en Sibérie, ni la première fois qu’il propose des récits de ces voyages et de ses « croisière » sur un fleuve : voir par exemple le récit sur la Lena dans En descendant les fleuves – Carnets de l’Extrême-Orient russe, avec Éric Faye, (Stock 2011). Il nous propose ici deux courts textes, dont le premier, Ienisseï, est un récit qui raconte ce qu’il voit, ce qu’il entend durant la descente du fleuve Ienisseï, de Krasnoïarsk à son embouchure dans l’Arctique. Et ça commence mal : pas assez d’eau pour que le bateau, l’Alexandre Matrosov, puisse naviguer… Un moment il est même envisagé d’ouvrir les vannes d’un barrage. Il y a toujours des problèmes, en Sibérie, et il y a toujours des solutions…  Plus ou moins démesurées. La solution sera plus naturelle. Et l’on pourra partir.

Partir, longer des côtes. Accoster. Visiter les lieux, chargés d’histoires, rencontrer les habitants, plus ou moins résignés. Ici l’un de ces « villages des babouchkas », là où les hommes ont déserté, « vaincus par l’abus d’alcool ». Là, une « chanteuse dogane dans la lumière ocre du tchoum, entre odeur de chèvres et brouet de poissons de rivière. » Ailleurs, « des théories de conteneurs reconvertis en baraques de pécheurs, posées là comme des dominos de sucre roux sur une nappe claire. » Le bateau transporte des troupes d’artistes et de chanteurs qui se produisent depuis le pont lors des escales. Et quand il n’y a pas assez de fond pour s’approcher des côtes, ce sont les villageois qui viennent autour du navire sur leurs barques, pour écouter, et qui, enchantés, font demi-tour et retournent au village. Des instants probablement magiques pour tout voyageur. Magique aussi, mais pour d’autres raisons : l’arrivée à Doudinka, là où ont débarqués des milliers de prisonniers du Goulag que l’on dirigeait ensuite vers les mines de Norilsk, ville qui apparaît aujourd’hui à l’auteur « violemment jaune et tragiquement schizophrène. »

La lenteur de la navigation redonne à l’auteur le « sentiment géographie » que nous avons tous un peu perdu, et ces moments sont ressentis comme « des tentatives de restitutions de l’espace, voire de sensations (même illusoires) d’appropriation de ces mêmes espaces. » Aller doucement, prendre le temps d’écouter, de voir, de comprendre. Comme le fait Christian Garcin, qui écrit ce voyage au-delà du cercle polaire comme s’il nous parlait, là, comme ça, assis à la terrasse d’un café. Tranquillement. Comme un long voyage qui se déroule. Et le récit du voyage – la causerie à la terrasse – est agrémenté d’informations diverses, actuelles ou historiques, sur les camps, les anciennes usines, le délabrement, les risques écologiques, les coups d’éclats des Pussy Riots. D’anecdotes, de rencontres, de brefs dialogues parfois un peu surréalistes. Russie blanche est une brève évocation de la Biélorussie – qui n’est pas la Russie. Deux promenades, un peu courtes, peut-être. Il y aura sans doute d’autres livres pour approfondir. Mais ces deux récits sont déjà des invitations au voyage, à l’écoute des autres.

Né en 1959 à Marseille, Christian Garcin est l'auteur de nombreux ouvrages (romans, nouvelles, essais, carnets de voyage.), parmi lesquels Le Vol du pigeon voyageur (Gallimard, 2000), La Piste mongole (Verdier, 2009). Il. a reçu le prix Roger-Caillois en 2012 pour l'ensemble de son œuvre.
 

lundi 7 avril 2014

J'ai lu "L'égaré de Lisbonne" de Bruno d'Halluin



Bruno d’Halluin
L’égaré de Lisbonne
Éditions Gaïa, 2014
246p, 18€ 

Après la relation d’un récit de voyage sur les mers – La Volta - Au cap Horn dans le sillage des grands découvreurs, éditions Transboréal, 2004 – Bruno d’Halluin s’était déjà frotté au roman historique, avec Jon l'Islandais (Gaïa 2010). Et déjà avec la même époque en arrière-plan, le XVe siècle. Et déjà avec un sujet identique : des explorateurs qui, à bord de voiliers de plus en plus performants, repoussent les limites du monde connu. C’est dire si la période et l’exploration maritime sont les thèmes chers à l’auteur, qui récidive avec ce roman, particulièrement réussi : L’égaré de Lisbonne.

Le roman débute en 1500. L’histoire est racontée par Joao Faras, médecin et cosmographe. La première partie se déroule en mer et est très agitée, effroyable. Ça tangue, ça roule, ca tempête, ça vomit, ça gueule, ça prie, ça chavire, ça naufrage, beaucoup meurent, et quelques uns survivent.
L’expédition de treize nefs et caravelles commandée par Pedro Alvares Cabral est entraînée jusqu’à la terre de Vera Cruz (le Brésil), contourne le cap de Bonne-Espérance, navigue le long de la côte orientale de l’Afrique, et subit tant de déboires et de pertes qu’on ne sait plus si l’on est encore humain. « Dans ma tête, je passais en revue les hommes que je ne reverrais jamais. A vrai dire, je ne regrettais ni la perte du pilote, ni celle du proscrit. Je me sentais même soulagé par leur disparition. La mer m’aurait-elle rendu si mauvais, jusqu’à me réjouir de la mort de ceux qui me perturbaient ? Heureusement, je ressentais aussi quelque pitié pour eux, ce qui me rassurait sur mon degré d’humanité. »

Au retour – deuxième partie du roman – ça n’est pas gai pour tout le monde, surtout après un échec comme celui de cette armada. « On représente la face sombre de l’Histoire : l’échec, la mort. On gêne les projets du roi. Alors on nous met de côté et on nous demande de nous taire. » Oui les vicissitudes de la géopolitiques existent déjà, ainsi que les rivalités entre peuples et surtout entre souverains. A cette époque ça ne rigolait pas : il s’agissait rien moins que de se partager le monde… Et il fallait protéger les cartes, plus ou moins fiables, mais régulièrement mises à jour en tenant compte des nouvelles découvertes.

En 1502 l’aventure continue, des marins remontent le Tage et rentrent au port (Vespucci…), d’autres en partent. L’imprimerie bouleverse la tenue des cartes ; de Florence arrive un art à la belle réputation. Lisbonne aussi change. La ville est très bien rendue, avec beaucoup de descriptions (le port, les collines) mais également son ambiance, ses bruits, ses métiers, et aussi les problèmes liés à la « conversion forcée » des juifs en 1497. « Un léger vent d’ouest tempérait les premières chaleurs. La marée commençait à monter, inversant peu à peu le cours du Tage. Le soleil déclinant faisait scintiller de jaune les rides du fleuve. A cette heure, l’estuaire méritait bien son nom de mer de paille ». 

L’égaré de Lisbonne est un roman sur l’Histoire, sur la navigation, sur la découverte des autres, du monde, de soi, un roman sur la vie, sur l’amour, sur l’espionnage, sur les espoirs, sur les choix : entre les périls de la terre (la peste, les tremblements de terre, les lynchages) ou ceux de la mer (les tempêtes, les risques du voyage et des terres inconnues), entre le judaïsme ou le christianisme. Roman à cheval sur deux périodes, le Moyen Age et la Renaissance. Roman vivant, documenté, riche, agréable à lire, qui transportera le lecteur dans un autre monde. Ou plus exactement, de l’Ancien vers le Nouveau Monde…

Né en 1963, Bruno d'Halluin s'est familiarisé avec la navigation sur le lac d'Annecy, d'où il est originaire. Informaticien, moniteur de voile, il a bourlingué le long des côtes bretonnes, vers l'Irlande, dans les Caraïbes et autour du cap Horn. Il a publié deux romans.

dimanche 16 mars 2014

J'ai lu "Théorie de la carte postale" de Sébastien Lapaque



Sébastien LAPAQUE
Théorie de la carte postale
Actes Sud, 2014
112p, 10€

On le sait : les idées et les questions viennent en marchant… Au début du récit, un homme flâne dans les rues du Quartier Latin et se demande comment, parmi ses projets d’écriture – « des projets, il n’avait que cela, des livres qu’il voulait écrire et des livres qu’il n’écrirait jamais » – il pourrait avancer dans sa Théorie de la carte postale, un livre à « l’image encore un peu floue. Il en possédait la mélodie, mais en cherchait l’harmonie. » 

Tout au long de ce petit livre amusant, qui part dans plusieurs directions – exemples de cartes postales retrouvées, textes réels et textes à inventer, histoire de l’aéropostale… – il s’agit d’une réflexion en cours, dans le but d’écrire un livre sur la carte postale… – nous suivrons le marcheur-auteur dans ses recherches et réflexions. Qu’est-ce qu’une carte postale ? Qu’est-ce qu’elle n’est pas ? Quelle est son utilité, ou sa finalité ? Quelle est la poésie qui sourd d’une carte postale ? Écrire une carte postale est-il un « acte de résistance » ? Est-ce qu’on écrit une carte postale avec des idées ou avec « des mots, des jolis mots de tous les jours » ? Écrire une carte postale, est-ce un devoir ou un jeu ? Un emploi ou un passe-temps ? Quand l’écrire, où, à qui, comment, pourquoi ? « Au verso, Chambord, la chapelle Sixtine, le Corcovado, Guernica, la Joconde (…) ; au recto : pain, carottes, huiles d’olive, lait, câpres, moutarde, citrons, tomates, côtes d’agneau. »

A la fin du récit, l’auteur disposera de tous les éléments pour commencer la rédaction de sa Théorie… y compris, peut-être, une conclusion : « La carte postale, c’était donc les mots alliés avec la vie. Dans l’empire de la marchandise, c’étaient l’amour et l’amitié tracés en belles lettres avec la main, le bonheur et la beauté racontés avec de l’encre et du papier. » L’auteur cite je journal Ouest France, qui écrit : « La correspondance par mail n’aura pas raison de la carte postale. »  Souhaitons-le. Et pour maintenir tout ce qu’une carte postale véhicule (dans la relation, dans le contenu, dans le geste, dans le choix des mots et des illustrations), continuons de remplir ces petits cartons, n’importe où, n’importe quand. Et faisons nôtre cette apostrophe extraite du Roman inachevé d’Aragon : « Garçon, de quoi écrire. »

Né à Tübingen le 2 février 1971, Sébastien Lapaque est romancier, essayiste et critique au Figaro littéraire.

J'ai lu "Mustang" de Frédéric Doré



Frédéric Doré
Mustang
Éditions de La Table ronde, 2014
160p, 16€

L’histoire racontée dans ce roman est finalement très simple et banale. A New York, Manhattan, dans une petite entreprise, un « bureau d’études », une start-up à l’américaine, s’agitent, ici comme ailleurs, quelques hommes, informaticiens et chercheurs, qui préparent les futurs voyages pour tous dans l’espace La recherche de financements et la communication sur des projets un peu aléatoires sont les principales occupations. Mais les dizaines d’heures passées devant les écrans des ordinateurs ne peuvent pleinement remplir une journée, ni une vie. Alors bien sûr il y a les à-côtés, les rencontres, les amitiés, les liaisons, l’amour, qui vont faire ou défaire le quotidien, l’avenir.

Dans ce roman on croise un petit nombre de personnages. Le narrateur, qui, après une thèse à Paris, est embauché par la start-up, qui va décrire ce petit monde et l’ambiance dans laquelle elle évolue. Sterling, le patron angoissé, qui tente de protéger sa petite troupe des turbulences de la crise, qui a besoin d’un panneau de basket dans son bureau pour calmer ses nerfs. Balandier, l’autre boss, plus taciturne, celui qui donne les orientations, qui valide les projets, qui a la confiance de l’équipe. Emily, la petite amie du narrateur, qui travaille dans une agence de voyage, qui essaie de garder tout son monde en équilibre, notamment Barry, son père, et Lucinda, l’excentrique, la sœur de sa mère. Eunice, l’infirmière qui survit comme elle peut et qui va s’occuper de Laura. Laura, fragile, un peu perdue, et qui va déclencher la tempête sans le vouloir.

Ça n’est donc pas le milieu dans lequel se déroule cette histoire qui va captiver le lecteur. C’est l’histoire en elle-même, simple, romanesque, une histoire ordinaire mais qui broie les cœurs des protagonistes, et des lecteurs. C’est aussi et surtout le style de l’auteur. Finalement lui aussi assez simple, d’une grande sobriété, qui raconte sans trop en dire, sans esbroufe, sans musique de fond trop bruyante. On ne voit pas le temps passer ni les pages défiler. On se laisse facilement emmener vers la fin. L’histoire se termine dans le désert du Nevada. La crise est passée, les investisseurs sont revenus. Mais l’équipe s’est éparpillée. Les masques sont tombés. Chacun a trouvé une autre place. Définitive ou non, personne ne le sait vraiment.

« Vous voyez le nuage de poussière derrière ces barrières qu’on aperçoit là-bas ? C’est un troupeau de mustangs. (…) Impossible de les approcher, ils sont complètement sauvages. Peut-être auront-ils disparu demain. Ils ne restent pas au même endroit. Ils trouvent un autre lieu désertique et on ne les revoit jamais. »

J'ai lu "Les Vents de Vancouver" de Kenneth White

Kenneth White Les vents de Vancouver, escales dans l’espace-temps du Pacifique Nord Kenneth White nous a déjà emmené dans des contrées ...