Christian Garcin aime le Japon. Il l’écrit dans ce Carnet japonais : « Tout ce qui me touche en littérature, en art, dans mes voyages et dans la vie pourrait se résumer à cela : mesure, clarté et mystère. C’est le Japon. »
Christian Garcin aime les paysages comme ceux qui étaient contenus dans les frises qu’il dessinait dans son enfance, ces espaces sans bornes, cette « possibilité du parcours continu, et surtout celle de la perte et de l’égarement possibles. » C’est ainsi qu’un jour il a perçu le Japon : « comme un récit à découvrir. Comme un lieu où la géographie n’est pas faite que d’espace, mais aussi de temps – n’est pas seulement horizontale mais aussi verticale. Un pays où chaque montagne renferme un arrière-monde qui ne demande qu’à se déplier, un endroit où l’esprit est à même de reconstituer l’invisible qui relie les choses entre elles. Arpentant le Japon, j’étais à l’intérieur d’une frise. » Christian Garcin propose dans Carnet Japonais plusieurs chroniques sur son Japon.
Dans « Partir » l’auteur tente d’expliquer sons attirance pour certains pays, certaines régions, « certains endroits de la planète dont je me dis qu’ils abritent peut-être ce lieu que je cherche. » La Chine, la Mongolie, le Japon. Une « ascendance extrême orientale » y est pour quelque chose. Mais « je ne cherche peut-être que ce qui m’y a précédé, ou que j’ai imaginé y trouver un jour.
Dans « A la recherche des Yamabushi », récit principal du recueil, l’auteur, qui écrit « au fil de [ses] pensées », nous entraîne dans des histories petites et grandes, des digressions, des parenthèses érudites. Sur le shogun Tokugawa, par exemple. Ici il est agacé par les « pénibles voix d’adolescentes nasillardes » qui sortent de la télé. Là, à bord d’un train à crémaillère « qui monte presque à la verticale » il avoue sa peur : « De maigres barrières rouillées longent la voie ferrée, dont on se dit qu’elles ne serviraient à rien si d’aventure le train venait à basculer – menace que l’on sent très palpable. » Christian Garcin est confronté au réel, il est vivant, quoi ! « L’imaginaire déchoit-il ou se renforce-t-il quand il se confronte au réel ? » écrivait Victor Segalen… Ici on l’agonit d’injures parce qu’il se promène en chaussons d’intérieur sur le gravier du jardinet ; là une énorme araignée sur le mur de la chambre le laisse « pendant quelques secondes immobile et muet d’une stupéfaction non dénuée d’effroi.»
Christian Garcin décrit son Japon comme le pays du vert. « Le vert sombre, le silence, l’humidité : il y a là-dedans quelque chose d’immémorial, de profond et de rassurant. » Le vert des jardins, « alliance miraculeuse de la nature et de l’esprit », des forêts de bambous, de la mousse. Du bol du thé, aussi. Pour l’auteur, le Japon mêle mystère et clarté, le simple et le multiple – « Tout ce qui à première vue pourrait sembler unique est multiple. Le singulier n’est qu’un des masques de la complexité » -, la nature et l’esprit.
Dans « Les dieux cachés d’Hokkaido » Christian Garcin raconte un voyage dans cette région, et notamment au cap Nosappumisaki, ce « cap qui pointe le nez dans le Pacifique. » Un voyage qui n’est pas toujours celui que l’on attend. Quand les dieux ne sont pas avec vous… « Nous roulons dans les odeurs de fumier, entouré d’un vert ici déprimant, sur une nationale absurde, tout ce périple n’a aucun intérêt. Je broie du noir. Les dieux doivent bien rigoler, sur leur île, à l’abri du manteau de brume. » Mais sur la péninsule de Shiretoko, le bonheur est là, même si les ours sont omniprésents et potentiellement dangereux. « Nous goûtons simplement, pendant ces quelques heures, au plaisir intense d’être absolument seuls (si l’on excepte les goélands, les mouettes et les daims) dans un paysage époustouflant, quelque part dans l’extrême est du monde. » Le voyage finira bien : « Pas de dieu, pas d’ours à Hokkaido » écrit Garcin dans un chapitre de « choses non vues ».
Dans « Go Ahead » Christian Garcin pose sur le monde un regard et une plume de colère à peine rentrée. Une visite à Hiroshima est le prétexte à quelques questions, par exemple sur ce qu’est une guerre « juste », surtout quand elle est gagnée sur les populations civiles. Dans le musée « le vertige vous saisit. Passé un certain seuil, rien n’est plus mesurable. » Conclusion (provisoire) : « l’homme est aliéné car incapable de se représenter la conséquence de ses gestes. La mystification de notre société médiatique est de donner à chacun, en le bombardant d’images et d’informations, l’illusion du savoir, de la connaissance, de l’éclaircissement, alors que chacun est maintenu dans son aliénation : l’obscurcissement de la réalité. »
Le récit se termine par la relation du séjour à Ise, aux abords des sanctuaires, dans une ambiance de ferveur religieuse et des paysages reposants. « Je me dis que le plus mécréant des matérialistes athées aurait du mal à ne pas trouver ici un semblant de solennité. »
L’auteur, qui est aussi poète, ponctue ses chapitres par des haïkus, ces petits poèmes japonais de trois vers dont le dernier est une chute qui donne tout son sens à l’ensemble. « Palmiers, cèdres, bananiers / Lisière ensoleillée / Nuit profonde à dix pas. »
Les premières lignes de « Frises » : « Enfants, nous dessinions des frises. Ce devait être à la maternelle. Je m’appliquais à tracer deux traits parallèles sur toute la longueur de la page, afin d’obtenir une bande horizontale que je pourrais habiller à ma guise, à l’intérieur de laquelle une histoire viendrait se déployer. » Editions L’Escampette 2010.
Chroniques littéraires autour de la littérature de voyage et des écrivains voyageurs.
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