samedi 1 décembre 2012

J'ai lu "Knulp" de Hermann Hesse


Hermann HESSE – Knulp
Traduit de l’allemand par Hervé du Cheyron de Beaumont
Calmann-Lévy, 1972
Le Livre de poche / biblio roman N° 3247

« La route s’enfonçait, toute droite, dans le bleu tendre du ciel, où le monde semblait prendre fin. »

Knulp est un vagabond. Il n’a « aucune disposition pour le travail ». Il mène une existence de chômeur qui le voue à l’illégalité et au mépris. Toléré par les gendarmes qui respectent « sa supériorité intellectuelle, et à l’occasion, le sérieux », Knulp erre de par le monde. « On le laissait aller » ainsi qu’un chat qui partage la maison et la vie de ses maîtres. Chaque soir avant de s’endormir il tire « quelques feuillets de sa bibliothèque de route » qui se compose de « poésies et de maximes qu’il avait recopiées et d’une liasse de coupures de journaux. » Le sud de l’Allemagne est le territoire d’attache de ce nomade (si l’on peut dire…) Il y revient toujours. « Amour de la terre natale » ? ou « inquiétude singulière » de mourir éloigné de cette terre ?

Le roman commence alors que Knulp sort de l’hôpital et revient dans le village de son enfance. Il est malade et fatigué. Comme épuisé par des années d’errance. Mais on se presse pour l’accueillir. Il s’installe chez Rothfuss, le tanneur, et sa femme. Qui n’ont bien sûr pas le même point de vue que lui sur la vie, le travail, la liberté. « On apprend toutes sortes de choses en voyageant » dit Knulp. « Mais nous autres, nous avons au moins une maison, un métier et une gentille femme » répond Rothfuss. Certes, une chambre bien chaude en hiver, c’est appréciable. « Mais se marier pour ça, ça n’en vaut pas la peine. » Certes « un homme qui travaille, qui fait son chemin dans l’existence a un sort plus heureux à bien des égards, mais il n’aura jamais les mains aussi belles, aussi délicates ni une allure aussi légère, dégagée. » Certains pensent que Knulp s’est avili, qu’il est « resté à l’écart, bohême, éternel spectateur ». Lui estime que d’être élégant comme un prince même quand on crève la faim « ça aura meilleure allure, et puis ça me fait plaisir. » Mais on le sait, la liberté a un prix : la solitude. Et la vie a une fin. Knulp revient au pays natal parce que « les longues années d’errance s’amenuisaient dans son souvenir, lui paraissaient négligeables, tandis que le temps mystérieux de l’enfance prenait à ses yeux un éclat et un charme nouveau. » Les premiers souvenirs, les premiers sillons qui se gravent dans la mémoire, – « la lumière et le parfum, les bruits et les odeurs du pays natal » – sont peut-être les plus importants.

Knulp a-t-il eu « raison de suivre sa nature (…) de parler à tout le monde, comme un enfant et de gagner tous les cœurs, de raconter de belles histoires à toutes les femmes et de croire que chaque jour est un dimanche » ? De préférer la servante à la bourgeoise ? De contempler ce qui est passager, éphémère (la beauté, un feu d’artifice…) « non seulement avec joie mais aussi avec compassion » ? De faire au mieux avec « la souffrance qui s’attache à toutes les relations humaines » ? De passer ses journées « plus souvent couchés dans l’herbe que debout sur nos jambes » ? Comme souvent en présence d’un être « libre », les humains moins libres ne savent pas trop sur quel pied danser. Est-ce lui qui a raison ? Est-ce seulement un raté, un égoïste, voire un profiteur ? Knulp est-il l’un de ces hommes nécessaires à l’existence des autres, ces vagabonds que nous n’osons pas être et qui portent en permanences « un peu de la folie et du rire d’un enfant » ? Au lecteur de trouver sa route. «C’est à chacun de nous de se faire une idée de la vérité et de l’ordre du monde».

Attention : chef-d’œuvre. Apologie de la liberté, du désintéressement, mais aussi magnifique texte sur la solitude. À avoir dans la bibliothèque – à côté du récit des pérégrinations « hasardeuses » d’un autre « rêveur des chemins du vaste monde », les Scènes de la vie d’un propre à rien de Joseph von Eichendorff. À lire et à relire.

Les premières lignes : « Au début des années quatre-vingt-dix, notre ami Knulp fut hospitalisé plusieurs semaines. À sa sortie de l’hôpital, à la mi-février, il faisait un temps détestable et Knulp se sentit à nouveau fiévreux après quelques jours de marche. Il se mit alors à la recherche d’un nouveau gîte. Les amis ne lui manquaient pas : il eût trouvé un accueil chaleureux dans presque toutes les petites villes de la région. Mais il était d’une fierté singulière, à tel point qu’un ami s’estimait honoré lorsque Knulp acceptait d’être son obligé. »

dimanche 11 novembre 2012

J’ai lu « Scènes de la vie d'un propre à rien » de Joseph von Eichendorff


Joseph von Eichendorff
Scènes de la vie d'un propre à rien 
Éditions Phébus collection Libretto.
Texte français de Madeleine Laval et Robert Sctrick

Le voyage et l’amour : tels sont les deux sujets de ces Scènes de la vie d’un propre à rien, récit de Joseph von Eichendorff. Pour faire simple : Un « propre à rien » qui se dore au soleil pendant que son père s’épuise au moulin finit par partir sur les routes. Pour voir. Il devient jardinier, puis receveur dans un château viennois. Il tombe amoureux d’une femme qu’il pense inaccessible. Pour fuir l’amour, un seul remède : la route. Vers l’Italie. Après diverses aventures il revient à Vienne. Il apprend alors que rien ne s’oppose à ce qu’il retrouve la femme aimée.

Joseph von Eichendorff (1788 - 1857) est l’un des « romantiques allemands. » Il a mené une existence quasi insignifiante. Il a fait quelques voyages à travers l’Europe, mais a toujours rêvé de visiter l’Italie, pourtant décrite dans ces Scènes. Ce besoin de partir, de voyager, sera également transposé dans ses autres récits et ses poèmes, essentiellement centrés sur le vagabondage et l’aventure, et qui ont servi à construire le mythe du Wanderer, ce voyageur lancé sur les « improbables chemins du monde ». Un ton léger, voire ironique, caractérise ce « désenchanté discret », frère de Nerval.

Le vagabond selon Eichendorff

Le vagabond selon Eichendorff porte une grande veste avec d’énormes poches. Dans ces poches : linge, rasoir, trousse de voyage. Et un violon, accessoire indispensable au routard, qui permet de gagner un peu d’argent ou de nourriture en amusant le public. « Quand les autres rentrent chez leurs parents, les uns à cheval, les autres en voiture, nous allons par les rues, nos instruments sous nos manteaux, nous sortons de la ville, et le monde tout entier nous est ouvert. »

Le Wanderer est un oiseau volage qui à toute occasion s’échappe de sa cage. Qui n’a ni feu ni lieu. Et quelques principes. « Non, voyager comme les autres ne me tente pas le moins du monde : chevaux, café, draps frais, bonnets de nuit et tire-bottes, le tout commandé d’avance ! Alors que ce qui est magnifique, c’est justement de sortir de bon matin quand les oiseaux migrateurs passent haut dans le ciel et de ne pas savoir le moins du monde quelle cheminée fume déjà pour nous, ni à quelle aubaine nous attendre avant le soir. »

Le Wanderer ne se contente pas d’apprendre ce qu’on lui inculque, il va plus loin, il regarde, il voit. « Laissons les autres repasser leurs manuels ! Quant à nous, nous étudions dans le grand livre d’images que le bon Dieu a ouvert tout grand pour nous, la nature. » Il n’y a pas à avoir peur du présent, ni de l’avenir. La liberté à un prix, le mieux est de ne pas trop s’en faire. Et d’en faire une philosophie. « Qui sait de quoi demain est fait ? Poule aveugle trouve parfois son grain ; rira bien qui rira le dernier ; les choses arrivent quand on s’y attend le moins ; l’homme propose, et Dieu dispose… »

Ce que fuit le voyageur : certaines valeurs de son milieu. « Il me suffirait d’être sobre, de ne pas regarder à la peine, de n’avoir point envie de traîner ni de me livrer à des activités futiles ou ne rapportant pas de pain si je voulais parvenir, avec le temps, à quelque chose. » C’est ce qu’on lui a apprit. Dire oui.

Seul l’amour pourrait perturber ces belles théories. Dans les Scènes, pendant quelques temps le narrateur endosse la « robe de chambre » d’un receveur et prend « dans le secret de (son) cœur la résolution de laisser là les voyages et de faire des économies comme tout le monde. » Mais ces principes ne durent guère et ne lui font pas oublier sa belle. « Chacun s’est fait son petit coin sur terre, avec son poêle bien chaud, sa tasse de café, sa femme, son verre de vin le soir, bref tout va comme il veut ! Mais moi, je ne suis bien nulle part. J’ai toujours l’impression d’être arrivé trop tard et d’être nul et non avenu en ce vaste monde. »

L’amour est peut-être la seule chose qui peut ramener le Wanderer à la maison, là où l’horloge « fait toujours entendre son paisible tic-tac ». L’amour : « le monde est pour lui trop étroit, l’éternité trop courte. »

La route

Le Wanderer part sans trop savoir où cela le mènera. « J’ignorais tout du chemin à prendre » Il prend des chemins, des routes qui conduisent « loin, très loin par-delà les sommets, hors du monde, oui ! » La route de l’Italie ? Le pays où poussent les oranges ? C’est tout droit ! Parfois la route est longue, et elle effraie. « Brusquement, le monde me parut effroyablement vaste, et moi si perdu que j’en aurais pleuré toutes les larmes de mon cœur. » Ailleurs, quand le calme est revenu dans la tête, tout va mieux. « Du reste, c’était un plaisir de marcher là, avec les feuillages qui murmuraient et le chant merveilleux des oiseaux. Je laissai donc à Dieu le soin de me guider, sortis mon violon et jouai d’affilée tous mes airs préférés. » Enfin, avec des moyens plus modernes et plus rapides, et avec un peu de compagnie, le voyage se poursuit. « Adieu donc, moulin, château, portier ! Cette fois nous roulions si vite que le vent me sifflait aux oreilles. A droite, à gauche, villes, villages, vignobles filaient à vous faire papilloter les yeux. A l’arrière, les deux peintres dans la voiture, devant, quatre chevaux et un superbe automédon : et moi, juché tout là-haut sur le siège, à qui il arrivait de rebondir d’une aune. »

Si le Wanderer ne sait pas toujours où il va, il ne sait pas non plus toujours où il est. « A mon réveil, les premiers rayons de l’aurore jouaient déjà sur le tissu vert de mon baldaquin. Impossible de me rappeler où je pouvais bien être. » Mais quand la Rome, rêvée « pareille aux nuages que je voyais passer au-dessus de moi, avec des monts et des gouffres prodigieux au bord d’une mer bleue, et des portes d’or, et de hautes tours étincelantes en haut desquelles chantaient des anges en robes dorées » se révèle enfin au regard telle « la ville superbe », le voyageur est comme sous l’effet d’un charme. « Le soleil matinal jouait sur les toits et jetait mille feux dans les longues rues silencieuses : cette vue m’arracha un grand cri d’allégresse et je bondis sur le trottoir au comble de la joie. »

Ce n’est d’ailleurs pas tant le lieu qui compte, que la démarche. Comme pour beaucoup de voyageur avant et après lui, si le Wanderer « flâne un peu de-ci, de-là, pour voir le monde », il clame plutôt « qu’avec les bottes de sept lieues qui en quelque sorte nous chaussent dès l’enfance, nous fonçons droit et sans plus de façon sur l’éternité. » Et l’Italie tant rêvée puis tant vécue peut devenir la « perfide Italie avec ses oranges, ses femmes de chambre et ses peintres dérangés » à qui il faut tourner le dos.

Faut-il partir, aller ailleurs, si loin, alors « qu’autour de moi, tout me connait » ? Ne reste plus qu’à prendre le coche d’eau et à descendre le Danube.

Les (magnifiques) premières lignes : « Déjà le joyeux murmure du moulin de mon père avait repris, et sa roue s’était remise à ronronner. La neige gaillardement dégouttait du toit. Les moineaux, de leurs gazouillis et de leurs ébats, s’associaient à toute cette activité. Quant à moi, assis sur le seuil, je me frottais les yeux pour en chasser le sommeil. Dieu ! que je me sentais bien, au chaud sous le soleil.
C’est alors que mon père sortit de la maison, le bonnet de nuit de travers : depuis l’aube il n’avait cessé de s’agiter dans le moulin.
- Hé, le propre à rien, me dit-il. Te voilà encore à te prélasser au soleil, tu t’étires à te rompre les os et tu me laisses toute la besogne ! Le printemps s’annonce, toi aussi sors un peu de ta coquille et va-t’en de par le monde gagner ton pain toi-même !
- Bon, fis-je. Si je suis un propre à rien, je m’en vais courir le monde et y chercher fortune.
»




jeudi 1 novembre 2012

J'ai lu "Les blancs chemins" de Guy Féquant


Guy Féquant
Les blancs chemins

A pied jusqu’à Vézelay, à travers Champagne et Bourgogne
Photographies de Jean-Marie Lecomte
Éditions Noires Terres 2012

Dans Les blancs chemins, Guy Féquant écrit son périple de quatre cents kilomètres, à pied, entre la falaise crayeuse d’un village des Ardennes, jusqu’à la « colline sacrée » de Vézelay. Une balade « juste pour respirer le monde » un élan, « une mystique au ras des talus et une rencontre avec mes frères humains. »

Le (faux) départ. Château-Porcien. Un chemin de halage. Mais « rectilignes et ombragés ils n’ont que l’inconvénient de générer un certain ennui. » La perspective aspire. Les bruits de la campagne surprennent. Par exemple les clochent qui sonnent. Et qui répètent. Là, un bac à fleurs en ciment avec une inscription intime. Le marcheur a toujours les sens en éveil. « Marcher incite certes à une philosophie de la distanciation et de la sérénité, mais rien n’est plus faux que de croire qu’on progresse dans une bulle éthérée. » Le marcheur passe à Orainville, sur les pas de Jünger et de ses Orages d’acier. Moment d’Histoire. Puis une blessure le renvoie à son point de départ.

Un an plus tard, le deuxième et vrai départ. Guy Féquant est alors tout « jeune retraité » (oxymore ?) La pérégrination débute par quelques souvenirs. « Un de mes plus beaux voyages d’enfance ne dépassa pas les cinq cents mètres aller-retour. » Mais aujourd’hui ? Pour se motiver il cite ce mot de Paul Morand : « Il faut aimer l’avenir, parce qu’on y passera le reste de sa vie. » Alors : en route. A travers les vignobles champenois, à l’orée des forêts, de moulins en églises. Partir. Marcher. Ici (Épernay) on croise Montaigne. Là des motards wallons avec qui on discute de Spinoza… dans une fraternité toute lotharingienne. Vitry-le-François, Brienne-le-Chateau, le « Versailles de l’Aube », et sa statue de Bonaparte écolier. A Langres on croise Jehan, sire de Joinville et Denis Diderot. « Quatre siècles en soixante kilomètres. » Le voyage est souvent bucolique et apaisé. « Je franchis le pont à la sortie de Dienville et là, à nouveau, je m’émerveille. Rien ne coupe le souffle, rien n’écrase le site, mais tout est beau. » Mais parfois la route passe au-dessus de l’autoroute, et là des quads assourdissent et asphyxient le marcheur. A partir de Tonnerre – où est né le chevalier d’Éon – c’est la « sainte montagne ». Enfin, Vézelay, « sous un soleil de juin bien matineux » et, après un dernier détour dans les bois « elle apparaît au sud. Elle : la Noble Dame vers qui je monte, la basilique de Vézelay. Encore lointaine, certes, mais présente, paisible, irradiante. »

Guy est un voyageur qui aime la solitude « ferment de toute liberté intérieure », qui pense que « peu importe le but qu’on assigne : l’essentiel est que chaque pas rapproche de l’horizon qui sidère, de la transfiguration. » Il a sa conception du voyage : « Voyager, marcher, être en baguenaude, c’est moissonner maints détails et c’est élargir le champ. Ce qui évase ne s’envase pas. Il faut toujours zoomer. Sur les remparts de Langres, par matin clair, observer les lézards. Et puis chercher le Mont-Blanc. » Les blancs chemins : un livre très agréable à lire, à la langue recherchée, au style travaillé. Un récit de voyage au long cours très bien documenté, avec la petite et la grande histoire, et qui sait nous monter les belles choses à voir ou à entendre ou à lire. Beaucoup de réflexions sur le voyage et sur un certain style de vie, placide, libertaire, buissonnier. Buissonnier comme ce récit, loin des contraintes, des difficultés, de la sueur, des exploits que l’on peut lire parfois. Les photographies de Jean-Marie Lecomte apportent une touche – souvent géométrique – et, dans ce livre, se marient très bien avec le texte. Vraiment une très agréable promenade géographique et littéraire.

Les premières lignes : « Berméricourt, 3 août 2009. Fadeur sucrée de ce matin d’août. C’est celle, que je connais depuis l’enfance, de l’après-moisson et des éteules qui pourrissent. L’été entre dans son âge mûr, mêlé d’ardeurs brûlantes et d’indices de déclin. Époque aussi de l’aoûtement, mot qui évoque je ne sais quelle alchimie silencieuse et saisonnière, alors qu’il ne s’agit que de la lignification des jeunes pousses que les arbres et les arbustes ont produite depuis le printemps. Déjà les jours raccourcissent et l’on sent s’instiller en nous la mélancolie inavouée des années qui passent, du lancinant néant des choses… Le monde chatoie et sonne creux. Ce n’est pas une contradiction ; c’est une énigme. Une aporie, disaient les Grecs, c’est-à-dire une absence d’issue, une dérobade du chemin. »

L’auteur. Guy Féquant a enseigné l’histoire et la géographie dans les Ardennes et à la Réunion. Il est l’auteur de plusieurs récits (éditions La Manufacture). Passionné de littérature et d’ornithologie, il souhaiterait que le « nature writing » trouve en France le même succès qu’outre Atlantique. Les Ardennes comme Montana de la France ? Chiche…

Citations(s)
« Voyager, marcher, être en baguenaude, c’est moissonner maints détails et c’est élargir le champ. Ce qui évase ne s’envase pas. Il faut toujours zoomer. Sur les remparts de Langres, par matin clair, observer les lézards. Et puis chercher le Mont-Blanc. »

vendredi 19 octobre 2012

J'ai lu "L'Amour est une région bien intéressante" d'Anton Tchékhov


Anton Tchékhov (1860-1904)
L’Amour est une région bien intéressante
Correspondance et Notes de Sibérie
Éditions Cent pages 2012.

C’est entre avril et juillet 1890 qu’Anton Tchékhov effectue un voyage à travers la Sibérie vers l’Extrême-Orient russe, pour vérifier ce qu’on en dit, pour témoigner de la réalité de cette province isolée, pour voir la katorga (le bagne) situé dans l’île-prison de Sakhaline, un asile pour bannis et reclus. « Après l’Australie jadis, et Cayenne, Sakhaline est le seul endroit où il soit possible d’étudier une colonisation formée par des criminels. » Outre les tentatives pour le dissuader, il y a d’abord les questions sur l’utilité de ce voyage. « Admettons que mon voyage ne serve à rien, qu’il soit entêtement et caprice ; réfléchissez un peu et dites-moi ce que je perds en partant ? » On ne perd jamais rien en voyageant : « même si ce voyage ne m’apporte strictement rien, se peut-il malgré tout qu’il n’y ait pas sur sa durée deux ou trois jours dont je ne me souvienne toute ma vie avec enthousiasme ou amertume ? » Il veut donc aller voir, écouter, étudier. Il en reviendra transformé.

Le voyage « aller » durera trois mois. La grand-route sibérienne – « la plus grande et apparemment la plus affreuse route du monde » – est assez sûre : on parle bien de vagabonds qui égorgent parfois « une misérable vieille pour lui prendre sa jupe et s’en faire des chaussettes », mais aussi des cochers qui ne volent pas leurs clients. Le voyage commence en train (mais le transsibérien ne vas pas encore jusqu’en Orient.). Puis en bateau. Puis en barque. Puis en voiture. La Sibérie ? « Sans le froid qui prive la Sibérie d’été et sans les fonctionnaires qui corrompent les paysans et les déportés, la Sibérie serait la région la plus riche et la plus heureuse qui soit. » Hum… A travers l’Oural et aux alentours du Baïkal, Tchékhov emprunte des pistes peu carrossables. Les cahots rendent le voyage insupportable. Mais le voyageur s’habitue à tout.
« Voici plus de deux semaines que je galope sans m’arrêter, ne pensant qu’à cela, ne vivant que pour cela. (…) Je suis tellement habitué que j’ai l’impression d’avoir passé toute ma vie à galoper, et à lutter contre une route boueuse. Quand il ne pleut pas, quand il n’y a pas d’ornières sur la route, je trouve cela bizarre, et presque insipide. Dieu que je suis sale et quelle tête patibulaire j’ai ! »

Ailleurs ce sont des chemins interrompus par les inondations du printemps. Le temps est souvent exécrable, mais les paysages sont parfois extraordinaires. « Quand on approche de Krasnoïarsk on a l’impression de descendre dans un autre monde. »

En Sibérie vivent des hommes libres mais résignés, pauvres, des paysans du cru ou des colons qui ont sacrifié leur pays natal et la vie passée, Les habitations sont éloignées les unes des autres. « La seule chose qui rappelle une présence humaine, ce sont les fils télégraphiques qui hululent dans le vent et les poteaux rayés parquant les verstes. » (La verste est une mesure équivalente au kilomètre). Le travail est dur, on n’enlève pas ses moufles pendant neuf mois, on ne chante guère, on ne joue pas de l’accordéon, il n’y a ni peintres ni musiciens, et on grimpe sur un escabeau pour se jeter sur le lit et son « monceau de couettes et d’oreillers à taie rouge. » En Sibérie vivent aussi des forçats qui, sur la route, font tinter leurs fers en marchants. Une fois arrivés à destination ils ont « conscience que tout espoir d’un sort meilleur est impossible. » Perpétuité : mieux que la mort ? Il semble que la justice centrale ignore les conditions de détention de ces exilés, dont certains, instruits, auront du mal à s’insérer dans ce milieu. La vodka fera alors office d’anesthésique.

Puis c’est la descente de l’Amour – avec à gauche la rive russe et à droite la rive chinoise – et ses mésaventures : naufrage, attentes, promiscuité sur les ponts… Mais sans rancune : « L’Amour est une région bien intéressante. Originale en diable. Elle grouille d’une vie dont on n’a même pas idée en Europe. Cela me fait penser aux récits sur la vie américaine. Les rives sont si sauvages, si pittoresques et luxuriantes qu’on aurait envie d’y vivre jusqu’à la fin de ses jours. » Tchekhov séjourne trois mois dans l'île de Sakhaline, de juillet à octobre 1890. Il visite les prisons et les prisonniers. Il fait même un recensement. « Il n’y a pas un seul bagnard ou un seul colon à Sakhaline qui ne se soit entretenu avec moi. » Ce matériau servira à l’écriture de plusieurs récits, dont L’Ile de Sakhaline, qui fera sensation.

Ce voyage épique est décrit de façon détaillée dans des lettres et des articles. Ce recueil mêle des extraits de la correspondance de Tchékhov à des articles inédits destinés au journal Temps Nouveau. Plusieurs lettres écrites pour différents destinataires reviennent parfois sur les mêmes moments, ce qui ne fait qu’accentuer leurs caractères forts, voire tragiques. Il y a bien sûr dans ce recueil un aspect historique qui intéressera les lecteurs passionnés par ces lieux et cette époque. Il y a aussi un aspect littéraire : ce récits est parfaitement écrit, documenté, vivant, avec de l’humour, de magnifiques descriptions de paysages ou de situations dantesques. Mais ce recueil est aussi et surtout la formidable chronique d’un voyage hors du temps et hors des espaces habituels. Rien n’est simple dans l’immense Sibérie à la fin du XIXe siècle. Mais il valait la peine d’y aller.
« J’ai vu et vécu tant de choses ; et tout fut extrêmement intéressant et nouveau pour moi, non pas du point de vue de l’écrivain, mais du point de vue de l’homme tout simplement. »

Les premières lignes. « Moscou, 9 mars 1890. En ce qui concerne Sakhaline nous nous trompons tous deux, mais vous sans doute plus que moi. Je pars absolument persuadé que mon voyage ne sera d’un apport précieux ni pour la littérature, ni pour la science ; je n’ai pour cela ni assez de connaissances, ni assez de temps, ni assez de prétentions… Je veux simplement écrire cent ou deux cents pages et payer ainsi ma dette à la médecine, à l’égard de laquelle je me comporte, vous le savez, comme un vrai porc.»

Traduction française de Louis Martinez (Notes de Sibérie) et des éditeurs français réunis (Correspondance).
A noter la qualité de l’édition. Cent pages est un éditeur remarquable, qui ne fait pas les choses comme tout le monde. C’est original, c’est beau.

samedi 6 octobre 2012

J'ai lu "Rats de marée" de Gilbert Vieillerobe



Gilbert Vieillerobe
Rats de marée
L’Harmattan 2012
Prix : 17€ - 172p

D’un côté il y a les scientifiques. L’auteur – qui réside dans les Alpes du nord – situe une partie de l’action dans l’une de ces villes qui s’est faite une spécialité de ce que l’on appelle les « technologies du futur » regroupées dans des Technoparcs : informatique, nanotechnologies et autres sciences en blouse blanche et en chambres stériles. Les scientifiques sont-ils des apprentis sorciers ? L’auteur les présente comme des personnes passionnées par leurs recherches et ne voyant que le bon côté des applications futures – quand ils en voient… Dans ce laboratoire, des aoûtas miniaturisés pourraient aller inoculer un vaccin dans une cellule cancéreuse ou renouer des cordes vocales, – « enfin, vous voyez, que des trucs sympas ». Dans cet autre labo on est sur le point d’aboutir à un « nanofil », un fil d’un milliardième de millimètre sur lequel on enfilerait des atomes comme on enfile des perles… « Génial, non ? À vrai dire on ne sait pas encore quoi en faire… Des couronnes mortuaires pour cellules cancéreuses ? Des dreadlocks pour têtes de génomes ? »

De l’autre côté il y a, on s’en doute : les « dangereux terroristes » qui, bien sûr vont chercher à détourner ces avancées scientifiques à des fins… à des fins… Le problème c’est qu’on a tout faux. Car, si les bienfaits potentiels de la science peuvent évidemment être détournés et utilisés à d’autres fins moins nobles que celles pour lesquels ils ont été conçus, ils peuvent aussi être utilisés pour d’autres raisons. Dans son roman Gilbert Vieillerobe imagine ce qui se passe quand des « terroristes » (les « Bricoleurs »…) tentent de « détourner la science et la technique » pour la « mettre au service de l’humanité ». Avec des applications… inattendues et qui vont provoquer une sacrée pagaille. Une pagaille que le Pouvoir en place ne peut évidemment pas admettre.

Face aux scientifiques et aux « terroristes », le pouvoir temporel, très temporel, est décrit avec pas mal de railleries. Mais l’auteur n’est peut-être pas si loin de la réalité. Car on voit bien que plus les « Bricoleurs » agissent – parfois avec quelques ratés… – plus les problèmes deviennent incompréhensibles, et moins les fins limiers de la République (qui se détestent, qui n’échangent évidemment pas leurs informations) ont de réponse, et plus les chefs et les ministres valsent. Impuissants. Uniquement préoccupés par le présent et leurs prébendes. Le Président est déprimé, « à demi drapé dans une robe de chambre bleue, allongé sur une bergère, il tient sa tête levée en s’appuyant sur un coude », il boit de la vodka à la santé de son « copain le Premier Ministre de Russie ». Son homme de confiance est surnommé Mazarin. Bref, Vieillerobe démontre que dans certains cas il est possible de ne rien savoir, de n’avoir aucun élément, de n’exercer aucun contrôle, et pourtant de prendre des décisions… La comédie du pouvoir.

Comme dans tout bon roman, qu’il soit d’anticipation ou pas, il y aura un grain de sable… Il y a toujours un grain de sable (et même : deux !). Mais il ne faut pas trop en dire. Sinon que si vous rentrez dans cette histoire, il est possible que vous ne puissiez pas lâcher facilement ce livre. Le sujet est passionnant, bien présenté, bien amené, le suspens est bien ficelé. L’écriture de Gilbert Vieillerobe est simple, efficace. Et l’auteur ne manque pas d’humour. Vraiment un bon livre de divertissement – entre conte philosophique et roman d’anticipation – mais aussi de réflexion sur nos sociétés « technicistes, hiérarchisées et mondialisées ». Le meilleur des mondes n’est pas encore très sûr…

Les premières lignes : « Les carrosseries offrent leurs fronts, luisants et blêmes, aux caméras de surveillance. Impossible de trouver une seule place libre sur l’immense parking de l’hypermarché. Phénomène inhabituel, le nombre de véhicules stationnant sur les bas-côtés, les voies d’accès réservées, les contre-allées, les parterres même, laisse chacun incrédule. Une affluence remarquable ! Devant les écrans, dans la salle confinée, Gustave, le chef de la sécurité, mi-allongé dans son fauteuil, un pied posé sur une chaise voisine, engouffre son quatrième pain aux raisins. »

jeudi 27 septembre 2012

J'ai lu "Un héros" de Félicité Herzog


Félicité Herzog
Un héros

Roman
Grasset 2012



Qu’est-ce qu’un héros ? est la question centrale de ce livre – de ce « roman » puisqu’il porte cette mention – qui pose aussi plusieurs questions : peut-on tout accepter d’un « héros », y compris la destruction de sa propre famille ? Qu’apporte le « roman » à une histoire qui aurait pu être écrite sous la forme d’un journal ou de souvenirs ? Le « héros » est-il d’ailleurs celui que l’on croit ? Félicité Herzog est née en 1968. Son père est un héros. Sa mère descend d’une illustre famille française. Une histoire normale, banale ? Non. Quand on lui dit « tu as la chance d’avoir un père comme le tien » Félicité garde le silence. Elle le gardera longtemps.


« Je ne sais pas si c’était le signe d’une réelle inconscience du mal ou celui d’une grande perversité mais je devinais que l’éclat de son sourire légendaire cachait des reflets plus sombres et qu’il n’était pas l’homme qu’il prétendais. »

La mère est issue d’une grande famille industrielle, noble. Elle se débat entre la révolte contre son milieu et ses amants. Les grands-parents, qui s’occupent souvent des deux enfants du couple bientôt séparé (car « rien de mon père et de ma mère ne se mariera réellement »), ont quelques habitudes un peu « anciennes, surtout celle de ne rien voir, rien dire, rien savoir. » Les apparences… Et comment faire quand « tout projet doit être apprécié à l’aune de l’exploit de l’Annapurna ou de la grandeur des Schneider » ? Car le père – Maurice Herzog prend également beaucoup de place.

Maurice Herzog fut l’un de ces « conquérants de l’inutile », et il avait l’air « apaisé, revenu de tout ». Comment résister à ce père qui « incarnait pour nous un être fabuleux » ? Pourtant, très vite, « la constatation me vint simplement à l’esprit qu’il mentait. » Le mensonge est sans doute à la base de tout ce qui suivra la tentative de l’Annapurna. L’échec ne pouvait être envisagé, pour des raisons politiques et de société. Il ne pouvait donc y avoir que la victoire, fut-ce au prix d’une « compromission finale avec la vérité » Tout ne pouvant être dit, ou entendu, le retour de l’expédition fut triomphal. L’événement devint un mythe national. Que pèsera, dans la vie de Maurice Herzog, le mensonge de l’ascension de juin 1950 ? Si mentir une fois conduisait à la gloire, à quoi bon ensuite dire la vérité ? Quand on écrit « d’égal à égal, je dialoguais avec les 8000, les géants qui m’entouraient », et que tout le monde applaudit, comme soigner sa mégalomanie ? Quand toutes les femmes sont à vos pieds, comment retrouver le sens de la famille ? Alors, ce père alpiniste est-il un héros ?

Son « talent de feindre », mais aussi ce « désir inextinguible de sublimation à travers le regard des autres » empêchera toujours ce père d’avoir des relations familiales normales. Il « néglige son entourage sans jamais avoir le sentiment d’avoir fait mal puisque la société le juge si bien. » Et si la fille du héros semble être sortie de la terrible et pesante vie proposée par son père, il n’en est pas de même pour Laurent, le frère ainé. Laissons au lecteur la découverte de moments et de relations familiales encore plus violentes et terribles. Et finalement de découvrir le vrai « héros » du récit.

Récit intimiste, récit de souvenirs, avec un style dépouillé, parfois grinçant, posant des questions sur la vérité et le mensonge, sur la cohabitation de deux mondes, Un héros est un roman d’une grande force qui ne laissera pas indifférent.

Les premières lignes : « Toute ma vie j’ai été dépossédée de mon père par les femmes. Le processus commença par les filles au pair, un lent manège d’Anglaises et d’Autrichiennes, qui apparaissaient puis disparaissaient sans explications. Lorsqu’il était à la maison, événement formidable, il passait le plus clair de son temps à étudier leur ballet avec une attention soutenue puis à répondre à leurs doléances jusqu’à la saison des soupirs, puis à celle des pleurs dont j’aurais pu calculer le cycle avec autant de précision que pour le calendrier lunaire. »

Félicité Herzog est née en 1968. Un Héros est son premier roman.

samedi 15 septembre 2012

J'ai lu "Aux armes défuntes" de Pierre Hanot


Pierre Hanot
Aux armes défuntes

Éditions Baleine 2012
16€

La première partie de Aux armes défuntes, roman de Pierre Hanot, commence par un voyage, en 1948 dans le port de Marseille. Polmo (abréviation de Paul-Maurice) embarque pour l’Indochine. Polmo n’a pas beaucoup de culture, « il savait vaguement que là-bas, plus loin que l’Afrique, les gens bouffaient du riz avec des baguettes. » Polmo a raté le début de sa vie de militaire en étant prisonnier des Allemands. Il n’a pas pu tirer un coup de feu. Il a bien l’intention de se rattraper avec les Viets. A Port-Saïd, durant une escale, il se forge l’opinion que l’Égypte est un repaire de brigands, et tombe amoureux d’une entraîneuse. C’est l’aventure. « Par la magie du voyage, il était Surcouf le corsaire, la planète applaudirait ses exploits, l’aventure coucherait dans son lit. » Après seize jours de navigation « vertigineuse de crasse et d’inconfort » la troupe débarque en Cochinchine. Là, Polmo attend la vraie guerre au mess, un endroit minable avec un ventilateur HS, « les mouches copulaient sur les pales immobiles en toute quiétude. » Chez l’aumônier ça n’est guère mieux : « Mon Père, osa Polmo, j’ai abandonné la femme de ma vie en Égypte… Absolution, mon fils ! Lundi nous irons au bordel. » Polmo n’aura pas le temps d’aller voir : vient l’heure de l’accrochage dans la clairière. Dernier voyage. Polmo est tué.

Polmo est mort. Mais la deuxième partie, qui débute en 2109, exploite quelques possibilités scientifiques encore à l’état de théorie en nos années 2012, pour le ramener à la vie. « Cent-quatre-vingt quatorze berges, c’est tout, sauf raisonnable. » Surtout dans un monde qui n’est pas gai. « Les mouettes se posent pour agonir, gavées de mercure ou de capsules de plastique. » La France est « ensevelie au tombeau de la sénescence. » Et Polmo, qui avait été un meneur d’homme un peu raciste sur les bords, se retrouve moins que rien dans un monde de castes, dirigé par les Dominants retranchés sur l’Ile d’en haut, avec les femmes, denrées rares. Sur l’Ile d’en bas : le menu peuple… Maintenant, « l’étranger, c’est lui, en expiation. »

On n’en dira pas plus. Il faut découvrir ce nouveau monde créé par Pierre Hanot, peuplé de personnages plus incroyables les uns que les autres, et qui fait avancer une histoire dont on retrouve des bribes et des idées dans la mythologie (Cerbère, saint Georges terrassant le Dragon), dans les grandes tragédies (les bagnes), dans les grands romans (Robinson, Dante et son Enfer). On passe d’une théorie psychologique à un refrain de musique punk ou de « fucking rock », de la fabrication d’une pagaie à l’utilisation de gadgets à la James Bond. Tout ça est délirant, déjanté. On dirait un opéra-rock. Mais de « fucking rock » !

Ce récit est porté par la gouaille et l’incroyable verve de l’auteur – que l’on devine assez « remonté » contre quelques illusions et vendeurs d’illusions de notre monde, et bien différent d’un mouton qui suit le troupeau… Le style est simple, rythmé, efficace. Le vocabulaire est précis, parfois même soutenu. Quelques concepts historiques et philosophiques sont revus et corrigés, et cette histoire incroyable avance à toute allure avec beaucoup d’humour, souvent grinçant, avec pas mal de jeux de mots, parfois inégaux, et aussi avec beaucoup de poésie (au sens « moderne » hein, Hanot n’est pas Lamartine…) On rentre petit à petit dans cette histoire complètement déjantée et de plus en plus abracadabrantesque, dans ce roman de l’inversion des valeurs, court, violent mais burlesque, délirant, avec une mayonnaise qui prend bien. On en ressort haletant, rincé, essoré.

Les premières lignes : « A l’heure de la sieste, les rues étaient exsangues, Marseille ne bourdonnait plus que par son port et sur les quais, les bidasses embarquaient dans la pagaille. Peuchère, en ville, la guerre aux portes de la Chine, tout le monde s’en battait l’aïoli. A peine pansées les blessures, on venait de survivre encore une fois aux fridolins, pourquoi donc se soucier des conflits à venir, surtout pas de celui-ci, à des milliers de kilomètres, aux extrémités de l’Orient, aux confins de nulle part…»

Pierre Hanot a été et est maçon, romancier, routard, musicien, professeur d’anglais, poète, chanteur, guitariste. Avec son groupe Parano Band il a beaucoup joué dans les prisons. Plusieurs romans ont été publiés dont Les Clous du fakir, prix Erckmann-Chatrian 2009.

Site de l'auteur > http://www.pierrehanot.com/ 

vendredi 31 août 2012

J'ai lu "Le voyage de Nietzsche à Sorrente" de Paolo d'IORIO


Paolo D’IORIO
Le voyage de Nietzsche à Sorrente
Genèse de la philosophie de l’esprit libre
CNRS Éditions 2012.
246p – 20€

Nietzsche est alors un jeune professeur de philosophie à Bâle, un poste qui commence à lui peser lorsque, à l’invitation de son amie Malwida von Meysenbug, il part à Sorrente, où il retrouve d’autres amis. Dans cette petite ville du golfe de Naples on y croise des habitués, comme Wagner, dont Nietzsche est alors un fervent propagandiste. Mais ce voyage va tout changer. Car si la première raison du séjour à Sorrente est la santé du philosophe, ce qui va se passer en réalité est d’une importance capitale pour Nietzsche – et du coup pour la philosophie.

« Cheminer par des allées de douce pénombre à l’abri des souffles, tandis que sur nos têtes, agités par des vents violents, les arbres mugissent, dans une lumière plus claire. »

A Sorrente, Nietzsche jouit « de l’état d’âme particulier du voyageur, de celui qui ne cherche pas à être chez soi mais veut être ailleurs, qui apprécie le voyage, le paysage, les beautés de la nature et de l’art avec des yeux de touristes ». Des dispositions bienvenues pour qui veut s’ouvrir au monde. Et pas n’importe quel monde ! « De balcon de la Villa Rubinacci, Nietzsche voit tous les jours dans le lointain, au milieu de la mer entre le Vésuve et Capri la silhouette escarpée de l’île d’Ischia. » Il y a pire… Et il y a sans aucun doute un rapport avec les îles bienheureuses de Zarathoustra.

C’est dans ces paysages que Nietzsche se promène, regarde, écoute, discute. Entouré par « une sociabilité joyeuse et confiante qui fertilisa son élan créateur ». Beaucoup de ces sensations et de ces informations – les « pensées à l’état naissant que le philosophe a saisies entre la mer et la montagne, entre le parfum des orangers et celui du sel marin le long des étroits chemins parmi les oliviers » – serviront plus tard, la réalité sera alors traduite, transcrite, transfigurée. Les chemins de Sorrente ont offert à Nietzsche de quoi traduire ses pensées en images. Le travail de l’écrivain fera le reste.

Nietzsche a trouvé à Sorrente « cette voix qui parlait de liberté de l’esprit et d’amour du voyage. » Il a beaucoup apprécié ce voyage et ce séjour. « Nietzsche a dit récemment qu’il ne s’est jamais senti si bien dans la vie et que probablement il ne sentira jamais plus aussi bien. » (Malwida). Ce séjour a même eu des effets positifs sur sa santé. « Il va beaucoup mieux, a-t-il dit, et commence à pressentir ce qu’est la santé. » (Malwida).

L’auteur du livre utilise les rares notes prises par Nietzsche dans des carnets – sa mauvaise santé et sa vue affaiblie ne lui permettaient pas de les tenir régulièrement – mais surtout de nombreuses lettres échangées par les protagonistes de ce séjour avec leurs famille ou leurs amis – « quatre personnes qui mènent dans la plus parfaite harmonie et sans gêner la liberté de chacun, une vie commune, satisfaisante à la fois du point de vue intellectuel et du confort personnel » (Malwida) – pour démontrer que ce séjour à Sorrrente et ces événements – ses lectures, les échanges avec les compagnons de voyages et de villégiature, les promenades – ont eu une influence capitale sur la pensée du philosophe, notamment en détaillant certains aphorismes de Humains trop humains – ou Choses humaines, trop humaines – rédigés plus tard, première œuvre sous la forme d’aphorismes qui inaugure la « philosophie de la maturité ».

Évidemment au-delà du simple récit d’un voyage touristique, ce livre vaut bien sûr pour les explications données par l’auteur sur la « métamorphose » de Nietzsche durant ce séjour. Il n’est pas très difficile à lire mais, comme l’indique le sous-titre du livre, il s’agit quand même d’un récit qui est plus qu’un document sur le séjour de Nietzsche à Sorrente. Les développements sur le cheminement de la pensée du philosophe et ce tournant « généralement qualifié de positiviste » ainsi que quelques notions propres au philosophe peuvent rebuter les personnes peu habituées à cet exercice.

Nietzsche quitte Sorrente le 7 mai 1877. Il n’y retournera jamais. Mais il ne retourne pas non plus enseigner à Bâle. Ce voyage dans le Sud change radicalement le cours de sa vie et de sa philosophie.

Les premières lignes : « Le voyage à Sorrente n’est pas seulement le premier grand voyage de Nietzsche à l’étranger, son premier grand voyage au Sud, mais la véritable rupture dans sa vie et dans le développement de sa philosophie. Il survient en 1876, à un moment où Nietzsche traverse de graves souffrances morales et physiques. Sa santé a décliné, de fortes névralgies l’obligent à rester au lit au moins une fois par semaine avec d’insupportables migraines. C’est aussi le temps d’un bilan intellectuel. »

Photos N&B de manuscrits, lettres, sites et portraits.

lundi 23 juillet 2012

J'ai lu "Manifeste vagabond" de Blanche de Richemont


Blanche de Richemont
Manifeste vagabond
Plon 2012

Ce Manifeste vagabond est un témoignage, un journal intime, un bilan, un manifeste, celui de Blanche de Richemont, une jeune femme qui s’interroge : « cela fait des années que tu cours sur les routes après un sens ; existe-t-il ? » Lorsque le retour devient difficile, lorsque « le voyage est devenu un esclavage », il faut s’arrêter, réfléchir. Écrire.

Pourquoi partir ? Parce que « les horizons ont leur mot à dire. » Parce que « notre âme n’est pas faite pour ces vies sédentaires figées dans le béton. » On part aussi, comme Blanche de Richemont, pour guérir des blessures. » Le décès d’un petit frère. Et « si la route ne nous libère pas de nos maux » mais au contraire « les met en lumière », un voyage difficile comme celui au Sinaï – « l’épreuve du feu » – permet de comprendre certaines choses sur le fonctionnement du corps et de l’âme. Partager le chemin et le bivouac met du plomb dans l’aile de quelques règles trop bien ancrées de notre société. « J’avais réalisé dans le désert que notre vie servait un autre but que la réussite. » Et lire Les clochards célestes inculque quelques idées nouvelles : « les clochards célestes savent s’emparer de leur destin, ignorant le regard de la société. » Avec tout ça, comment revenir dans « le monde des hommes » ?

Au cours d’un autre voyage – l’Azalaï, sept cent kilomètres sur la route du sel entre Tombouctou et Taoudenni – Blanche de Richemont découvre comment certains hommes considèrent la femme, vit l’enfer d’une caravane, sa geste répétitive dans un environnement hostile – « dans ce paysage immobile, seule la date changeait tous les jours » – et apprend à « ne plus enfermer l’avenir dans des prédictions pour se rassurer » et « à ne plus espérer, mais à accueillir chaque journée comme une offrande. » Le voyage, surtout le voyage un peu rude, ouvre de nouveaux horizons, c’est évident.

Le voyage ouvre peut-être aussi à une autre vie. Mais « le plus dur n’est pas de partir, mais de revenir. » Le voyage isole du monde des sédentaires. Il est souvent impossible de partager ce que l’on a vécu. Que faire ? Le vagabondage, le voyage permanent, la fuite ? Mais quelle fuite ? Dans l’amour ? dans la religion, au couvent ? le suicide ? la solitude dans la cabane (référence à l’isolement volontaire de Sylvain Tesson dans une cabane au bord du Baïkal) ? dans les livres ? dans la recherche de réponses aux questions comme « qu’est-ce qui justifie une vie ? » ou « suis-je libre ? » Blanche de Richemont se pose des questions, vit avec son esprit en éveil. Ce qui est loin d’être le cas de tout le monde.

Certains pensent qu’il ne sert à rien de partir si c’est pour se (re)trouver soi-même. Mais si « le véritable vagabond ne serait pas celui qui prend la route, mais celui qui part chercher son âme », alors Blanche de Richemont est sur la bonne route. « La liberté du voyageur est vertigineuse », il n’a « pas peur du temps », il n’est pas « esclave du divertissement », chacun pourra s’en rendre compte. Mais plus grande encore est la liberté de celle qui arrive à la conclusion que « la nature porte en elle tous ces ailleurs qui nous hantent », que l’on part surtout « en posant un regard vierge sur le monde » et qui« cherche à illuminer un monde intérieur et non à calmer les tourments de mon esprit. »

Voici un petit livre intéressant, grave et léger à la fois, rempli de belles réflexions sur la vie, sur la mort, sur le voyage, sur l’autre, sur l’ailleurs, sur la liberté, et sur ce qu’on fait avec tout ça. Blanche de Richemont livre ses pensées, ses constats, ses analyses, ses réflexions, et les lectures qui l’aident à comprendre : des philosophes, des penseurs Indiens, des écrivains vagabonds comme Hesse, Jünger, Kerouac… Par là même elle aide dans leur propre démarche, dans leur propre questionnement, celles et ceux qui sont déjà ailleurs, celles et ceux qui sont encore là, celle et ceux qui, comme moi peut-être, ont un pied dedans et un pied dehors. Elle donne des pistes, elle ouvre les yeux, elle montre son chemin. A chacun d’y trouver de quoi enrichir sa propre réflexion. Un livre à conserver dans la bibliothèque voyageuse.

Les premières lignes : « Je suis partie en voyage pour trouver une terre ou un regard qui justifient d’être en vie. Le jour où j’ai pénétré dans le désert du Sinaï pour la première fois, j’ai compris que les villes n’étaient pas humaines, que pour y survivre il fallait fuir. Des 4x4 nous ont déposés dans la nuit au creux d’un canyon. Des Bédouins nous attendaient au coin du feu. Les rayons de lune cognaient contre la roche. La puissance brute de cette nature mise à nu imposait le silence. J’étais née pour cet instant. »

Citations
« Le confort retient. Les nuits à la belle étoile nous poussent sur la route. Elles en sont le prolongement. »
« Les vagabonds ne font que passer. Non pour fuir mais pour ne pas perdre leur intensité. »
« L’éphémère est un garant d’intensité. »
« Si le vagabond effleure la vraie liberté c’est parce qu’il n’a pas peur de perdre son temps. »
« On ne part pas en prenant l’avion, ni la route, mais en posant un regard vierge sur le monde. »
« Les vagabonds ont une lueur dans les yeux qui excite la jalousie et le désir. Ceux-là même qui fabriquent leurs chaînes du matin au soir crachent sur ces êtres libres voués à la solitude. »
« Partir demande parfois plus de courage que rester. »
« Revenir résonne toujours un peu comme une sanction. »

Blanche de Richemont est née à Paris en 1978. Elle a fait des études de philosophie et du théâtre, avant de découvrir l’écriture et le voyage. Elle évoque ses voyages dans Éloge du désert (Presses de la Renaissance, 2004) puis Éloge du désir (Presses de la Renaissance, 2007). Elle publie un roman en 2008 : Pourquoi pas le silence (Robert Laffont), l'histoire d'un adolescent qui décide de quitter la vie après avoir tout fait pour l'aimer. Puis en 2009, Les passions interdites (Éditions du Rocher), un portrait d'êtres incandescents dans l'art, la foi, l'amour, le sexe, l'aventure, la science.

Site : http://blanchederichemont.skyrock.com/
Et https://www.facebook.com/pages/Blanche-de-Richemont/94629685125

dimanche 8 juillet 2012

J'ai lu "Au carnaval des espérances" de Jean-Claude Baise


Jean-Claude Baise
Au carnaval des espérances

Les presses du midi, 2011
224p, 18€

Au Carnaval des espérances est un roman dans lequel Jean-Claude Baise nous transporte dans un pays qu’il connait bien : la Guyane. La Guyane et ses lieux emblématiques : Saint-Laurent-du-Maroni, Kourou, Cayenne. La Guyane et son exubérance végétale. La Guyane et sa moiteur, sa chaleur. Un pays où les corps sont peu vêtus, où les jeunes femmes marchent avec des « mouvements fondus et harmonieux, sveltes et félins ». Un pays dans lequel des populations se sont mélangées aux cours des siècles. « Ici, l’humanité pétillait comme si l’Histoire, avec des talents d’artiste, s’était servie de toute la palette des races humaines pour créer des teintes et des nuances toujours différentes. » Un pays avec un décor de rêve : le fleuve Maroni et les petites rivières se parcourent en pirogues ; les mygales surgissent sur les empennages de bois, les crabes aux pinces rouges s’enfuient sur le sol spongieux… Un pays de rêve ou de cauchemar, tout dépend.

Tout dépend du moment où l’on y arrive et ce que l’on vient y faire. L’histoire démarre à Cayenne, et par un grand moment : le carnaval. Une grande fête, un incroyable spectacle. « Des demoiselles brunes se métamorphosaient en libellules turquoise et vertes. » Des groupes dansent. « C’est aussi la surexcitation des corps, les danses chaloupées de marquises masquées (…) le tournoiement des robes panachées. » Et pour accompagner la danse, « une démence musicale hurlait la joie de vivre. » Carnaval ! Le temps de tous les possibles. C’est dans ce bruit et dans cette ambiance de folie que l’on fait connaissance avec les principaux personnages du roman. Le premier à entrer en scène est Mattéo Vincenti. D’après ce qu’il sait, son père, qui l’a quitté à sa naissance, est en Guyane. « Une brûlure secrète qui consumait son âme et meurtrissait son honneur » de jeune corse. Puis vient Ruben, un médecin ivoirien, qui fuit son pays, qui débarque à l’hôpital de Saint-Laurent, et qui va se heurter aux traditions. On parle de Fabien Luciani, que personne ne sait où trouver, qui a peut-être disparu… Titaïna, qui est peut-être sa fille, quant à elle bien réelle, arrachée à sa Polynésie natale, ses fleurs, ses rochers et ses rivières, arrive à Kourou – un monde inquiétant, un « labyrinthe de solitude » – avec les idées de sa jeunesse, ce qui causera quelques difficultés à la communauté guyanaise. Et Molokoï, un Amérindien, indispensable relais local.

Mais les premières impressions festives ne durent pas. Tout ceci n’est-il pas autre chose qu’une façade trop visible et trop riante ? « Tous ces visages hilares et cette tapageuse mascarade, n’étaient-ils pas de simples masques travestissant de bien sombres préoccupations ? » Ces fêtes sont-elles encore spontanées, ou bien servent-elles à cacher une dure réalité ? Dans une contrée qui – pas plus qu’ailleurs – n’est pas « épargnée par l’affrontement et le désir de nuire des hommes » ; dans des villes et des villages où les jeunes ne s’émerveillent plus du monde de la forêt et n’apprennent plus les secrets des plantes et des animaux, occupés qu’ils sont à consulter les messages plus ou moins sincères qui s’affichent sur leurs téléphones portables : qui dit vrai, et qui avance masqué ? Ici comme ailleurs, le passé et le présent se heurtent. Comme les civilisations. Comme les coutumes et comme les croyances. Comme la vérité et le mensonge. C’est dans ces ambiances chaudes, colorées, moites, que s’avancent et se croisent les protagonistes de cette histoire. Mais quels liens, quelles histoires unissent tous ces personnages ? Quelles bribes de passé vont venir télescoper les instants présents et les rencontres fortuites ? Et comment ces rencontres vont-elles se résoudre ? Au lecteur de le découvrir… Il y aura des larmes, de l’amour, du soleil. Mais aussi des retournements de situation, comme dans tout bon roman. Et de nouvelles espérances…

Les premières lignes : « La lumière était moins éblouissante et l’après-midi déclinait mais les rues restaient désertes et la ville assoupie. Mattéo avait hésité à quitter la fraîcheur de son hôtel car à l’extérieur l’air mijotait dans une moiteur qui suintait des murs, exhalait du sol et ruisselait du ciel. De la droite arriva un groupe étonnant. »

Jean-Claude Baise a beaucoup bourlingué à travers le monde, en Côte d’Ivoire, en Polynésie, en Guyane, où il a passé plusieurs années. Ce récit est le quatrième d’un cycle guyanais qui comprend aussi : Passions amérindiennes (Bénévent, 2007) ; Larmes de Cachiri (L’Harmattan, 2008) et Perdus en Guyane sur la rivière Counamama (L’Harmattan Jeunesse, 2010).

lundi 25 juin 2012

J'ai lu "Les Bisons du Coeur-Brisé" de Dan O'Brien


Dan O’Brien
Les Bisons du Cœur-brisé

Traduit de l’américain par Laura Derajinski
Au Diable Vauvert 2007.

Avez-vous déjà vu le pare-chocs de votre auto se refléter dans les yeux d’un bison ? Ce fut une révélation lorsque l’auteur se trouva un jour « suffisamment près pour voir le pare-chocs du pick-up se refléter dans ses sombres yeux ronds surmontés d’une touffe de poils noirs et frisés. Sa tête était aussi grosse qu’une machine à laver. » Même s’il fut alors « incapable de trouver un lien entre ce vieux bison poussiéreux » et lui, Dan O’Brien comprit que cette vision était un signe. Peu de temps après il loua un ranch. Au début il y vécu dans des conditions spartiates et difficiles. Plusieurs obstacles durent être surmontés : les éléments naturels, certes, mais aussi les problèmes de voisinages et d’autres liés à l’écosystème, complètement stérilisé par des « erreurs » antérieures. Ce sont ces questions qui donnent à ce livre plusieurs pistes de lectures et donc son intérêt et son épaisseur.

Ce récit est celui de l’Histoire, et aussi de l’histoire économique de la région. Nous sommes au pied des Black Hills, « de l’herbe qui oscille à l’infini dans le vent et un ciel qui engloutit la moitié du monde », les terres indiennes de Sitting Bull, dans les Grandes Plaines du Dakota. Ces plaines qui ont vu la « disparition » des peuples autochtones, les Indiens, en même temps qu’un autre massacre, celui des bisons. Le massacre des bisons est intervenu à plusieurs époques, mais surtout au XIXe siècle, lors de la ruée vers l’Ouest, lors de cette « conquête économique » qui déboucha sur la vente des peaux et des fourrures. « A une certaine époque, on pouvait voir la blancheur quasi incandescente des squelettes de bisons éparpillés sur toute la plaine, du Texas jusqu’au Canada. » Et puis, les bisons et les Indiens ayant « disparus », l’homme (blanc) put continuer le saccage de cette terre, en installant une politique d’élevage bovin intensif et l’agriculture qui allait avec. Pour la société de consommation. Un jour « cette terre est (devenue) un genre d’usine destinée à la seule production des bœufs et des céréales. ». O’Brien a une autre idée.

« Mon objectif, écrit O’Brien, était de restaurer, de la rendre à son état originel, lorsque les bisons sauvages la peuplaient encore. (…) Je voulais juste que la terre soit saine et équilibrée. » A la longue il s’apercevra qu’il avait raison. « Et ce qui rend certains perplexes, c’est qu’en respectant la vie sauvage et la nature sur notre exploitation, on obtient de meilleurs troupeaux, mieux fournis que les leurs. » Ce récit est donc aussi l’histoire d’un fermier amoureux de la vie sauvage, qui souhaite remettre un ordre « naturel » dans ces prairies, c'est-à-dire réintroduire le bison et laisser l’écosystème se réadapter à ces animaux. L’histoire d’un homme qui va devoir confronter ses idées (sur l’amour, sur la nature) à la réalité. Celles et ceux qui ont fréquenté des fermes avec des veaux, vaches et cochons, retrouveront des gestes et des odeurs de leurs passés. Les autres imagineront assez bien comment on pousse des veaux ou des bébés bisons dans des bétaillères, ou comment on salit ses bottes en arpentant un corral plein de boue ou de neige à la recherche d’animaux égarés, encore à-moitié sauvages, et dont la force surhumaine, en bande, peut causer des dégâts conséquents.

Pour être éleveur de bisons il faut aimer la solitude. Dans ces contrées les femmes n’y sont pas légion. Mais « elles n’étaient pas franchement fautives. Quelle femme raisonnable pourrait vivre dans une maison glaciale l’hiver, brûlante l’été, en compagnie d’un homme tellement abruti qu’il mangerait de la carcasse de daim trois fois par jour et boirait de l’eau de source dans une bouteille de lait fixée à la selle de son cheval ? » Il faut aimer les défis. Il faut aimer la terre, les bêtes. « L’attachement aux terres et aux troupeaux (est un) sentiment qui n’existe pas, par exemple, entre un épicier et les boites de conserve alignées sur ses étagères. » Il faut aimer le vent, la neige, le soleil, le grand ciel bleu, la pluie, les orages… la musique « country ». Il faut aimer ou du moins supporter le froid, les nuits sans sommeil, les rafales de vent, les tempêtes de neige, les bêtes qui s’échappent, les coups de fusil, parfois contre soi-même… Mais la récompense c’est le café chaud au petit matin, la naissance de bébés bisons, le plaisir de produire une viande de qualité, la certitude d’agir sur l’écosystème en remettant le bison à sa place comme « un maillon manquant à la santé des plaines », c’est le sentiment d’être du bon côté, celui d’une nature à préserver pour demain, ce qui n’est pas gagné car « le monstre mercantile américain avait découverte la tendance à se tourner vers le bison », et ça n’était pas une bonne nouvelle. Les chantres du profit à tout prix n’ont pas lu ni compris – où peut-être que si, mais alors ils s’en fichent pas mal – cette phrase de J. Franck Dobie citée en exergue du livre : « L’histoire de toute terre commence par la nature, et c’est par la nature que se terminent toutes les histoires. »

Ce livre des grands espaces, ce récit d’un « « éleveur de bisons » est à conserver dans la bibliothèque, au rayon « nature writing – je sais, on peut discuter de ces classements, mais ça facilite quand même un peu les choses – aux côté des récits, témoignages , nouvelles ou romans, de Rick Bass, Doug Peacock ou Jim Harrison, pour en relire quelques pages de temps en temps.

Les premières lignes : « Quand les citadins ont eu une semaine difficile au boulot – s’ils sont sur le point de perdre leur emploi ou ont pris une décision qui risque de gâcher leur vie – j’ai entendu dire qu’ils errent parfois en ville. J’ai entendu dire qu’ils restent toute l’après-midi dans une salle de cinéma à regarder le même film en boucle. Ils déambulent dans les parcs ou observent depuis la jetée, immobiles, les bateaux qui prennent la mer. Chez moi, le cinéma le plus proche se trouve à soixante kilomètres, et pour atteindre l’océan il faut encore parcourir mille trois cent kilomètres vers l’est. Mais je suis entouré de plusieurs millions d’hectares de terre et quand ma vie semble partir en lambeaux, je grimpe sur mon pick-up et je roule. »

Citation
« J’ai pu remarques que les étrangers sèment souvent de nouvelles idées qui se marient parfaitement avec les concepts locaux. Les gens qui ont voyagé dans le vaste monde ont souvent une meilleure notion du possible et savent que les prérogatives ne sont qu’illusions. »

http://www.audiable.com/livre/?GCOI=84626100808820&

mardi 12 juin 2012

J'ai lu "Ce que savent les baleines" de Pino Cacucci


Pino Cacucci
Ce que savent les baleines

Traduit de l’italien par Lise Chapuis.
Christian Bourgois, 2012

D’événements graves (les Conquistadors, le massacre des baleines) à d’autres plus anecdotiques (la « véritable » histoire de l’Hôtel California), en passant par les moment de grâce, tels les spectacles de la nature qui laissent « muet, en extase » comme ces baleines grises « qui ponctuent de souffles vaporeux toute la ligne d’horizon (et) s’approchent du bord et remuent le fond sablonneux à quelques mètres du rivage », Pino Cacucci emmène ses lecteurs pour une promenade du sud au nord de la « Baja California », la Basse-Californie, de La Paz – la première tentative d’implantation espagnole, là où Hernán Cortés s’avança en 1535 – à la frontière, du côté de Tijuana. Son credo : la nature.

« On part. Et pour ce long voyage, on a une robuste Dodge Durango, plus spacieuse et confortable que la Bronco. En fond sonore : Bruce Springsteen. » La région semble belle, avec des bords de mer magnifiques, des baies des anges, des terres où poussent « le petit cactus tonneau jusqu’au robuste saguaro ou au cactus cierge haut de vingt mètres », des pics du diable et, « en somme, traverser la Baja en février est un plaisir sublime. »

Cacucci est un connaisseur de la région, déjà parcourue et déjà décrite dans un livre, Poussières mexicaines (Payot). Il raconte beaucoup de choses : des histoires de trésor, de corsaires, de mutineries, de perles dans les huitres, de Jésuites et d’Indiens, de peintures rupestres peut-être liées à des migrations pas encore expliquées. Il rappelle qu’en 1869 le phylloxera fait des ravages en Europe et que si nous buvons du vin aujourd’hui on le doit aux cépages rapportés – entre autre – de cette partie de la Californie. Cacucci propose également sa vision de l’écologie, et se demande si nous avons appris quelque chose en regardant la nature et les baleines.

Pour le voyageur, les grands moments de bonheur c’est lorsque « pas loin de là, les baleines voltigent, font des cabrioles et exhalent leur haleine vaporeuses. » Plus encore lorsque les baleines approchent la frêle embarcation et que « la grosse tête historiée de concrétions blanches se dresse et nous observe en restant parfaitement à la verticale. En l’espace de quelques minutes c’est tout un grouillement de dos et de queues, et nous restons ébahis face à cette majesté inquiétante, face à une telle force qui pourrait nous briser en deux d’un léger coup de nageoire, mais au contraire… » Bien sûr Cacucci se pose quelques questions sur le fait que les baleines semblent sentir la présence des personnes bien disposées à leur égard – « oui, elles le savent » –, voire qu’elles pourraient communiquer avec l’homme, mais pour conclure que « le comportement des baleines constitue un insondable mystère. » Très bon récit, d’un voyageur très proche de la nature – malgré la Dodge citée plus haut – et très cultivé sur l’histoire et la géographie du pays traversé ; indispensable dans le sac à dos lors d’une balade en Basse-Californie.

Les premières lignes : « Il s’appelait le Black Warrior. C’était un baleinier mis à l’eau dans les chantiers de Duxbury, Massachusetts, en 1825. Pendant un quart de siècle il avait massacré des cétacés dans le Pacifique et dans l’océan Indien. Pour finir, il avait été acheté par un amateur d’Honolulu, et le nouvel équipage avait fait route vers le sud, vers la Californie restée mexicaine après la guerre d’invasion par les États-Unis de 1847. »

L’auteur
Pino Cacucci est né en 1955. Depuis près de 25 ans, il vit entre l'Italie et le Mexique. Il écrit des romans dont certains ont été portés à l’écran.

mercredi 9 mai 2012

J'ai lu "L'Homme des haies" de Jean-Loup Trassard


Jean-Loup Trassard
L’Homme des haies
Gallimard,2012
256p, 17,90€

Quand on est un peu âgé – 75 ans – les souvenirs arrivent dans le désordre, mais ça n’a aucune importance. Mis bout à bout, dans un long monologue, une confession, ils composent une histoire : celle de Vincent, L’Homme des haies, un paysan du bocage mayennais. Il est maintenant plus contemplatif qu’actif : il fait ce dont il est encore capable, ce qu’il aime, et ce que son fils, qui a repris l’exploitation, lui laisse faire… Au début c’est un peu bizarre, cette langue, ce style, et les sujets abordés – les pommes, les betteraves, les juments, la moisson, le puits, les haies… – sont à mille lieux de ce qui s’écrit (trop) couramment. On se dit qu’on peut toujours en lire un peu plus, qu’on va bientôt arrêter car tout se ressemble, que ces histoires passées ne nous apprendront rien. Et puis on arrive tranquillement à la fin du livre, porté par une belle musique, ample, par une langue incroyable, et par des histoires simples et universelles racontées par Vincent.

Vincent est un homme bon. Dans un monde rempli de silences et de non-dits, il parle à Suzanne, sa femme, à sa manière, mais il parle. « Ma bonne femme n’était pas bavarde non plus, mais petit à petit, à mesure qu’on se connaissait mieux, on se causait, comme je dirais bien, par figure, les yeux, le regard, la bouche, une fronce ou une manière de rire. Les autres n’y voyaient rien, nous on se comprenait. » Vincent n’aime pas les problèmes, il est conciliant. « J’avais bien vu qu’on allait se buter là-dessus si on ne faisait pas à son idée. Ça ne valait pas le coup de se fâcher. » Vincent aime les plaisirs simple et ce que donne la terre. « Dehors, quand il ne fait pas trop bon, une patate chaude c’est réconfortant et puis on la goûte vraiment, elle me cause de la terre où elle est née. » Vincent est sensible. Comme pour d’autres sentiments ou émotions ça ne se voit pas beaucoup, mais ça se sent. Comme à l’occasion de la mort de la jument. Qui peut comprendre que pendant des mois Vincent n’est plus rentré dans l’écurie ? « Suzanne, elle, aurait pu comprendre, mais elle n’était plus là, non. » Car oui, Vincent a eu sa part de malheur : « Je n’aurais jamais cru qu’elle nous laisserait si tôt. » La mort de Suzanne… « Des fois je compte les années, je n’en reviens pas. Parce que, au-dedans, je continue à discuter avec elle. » Aujourd’hui Vincent est un solitaire. Il ne fait plus partie de la vie active de l’exploitation. Il est oublié. Son fils, le « il » ou le « lui » de ce récit– on ne se parle vraiment pas beaucoup –, et sa belle-fille Martine, lui laissent une petite marge de manœuvre. Suffisante.

Dans ce récit on apprendra ou on se souviendra de la vie à la campagne il n’y a pas si longtemps ; comment fonctionnait l’alambic, comment se passait la moisson, comment on construisait une échelle, comment on allait cherche l’eau au puits, comment on tuait le cochon, « le jour de tueu l’pourcia ». Comment on dormait dans les chambres glaciales, comme on tuait les chats en trop, comment et pourquoi les chiens jappaient, comment on s’occupait des animaux, quelles relations on avait avec le voisinage… Et comment tout ça disparut dans le monde moderne, mécanisé, déshumanisé. « Plus de bourreliers parce que les chevaux sont partis, mais pourquoi qu’il n’y a plus de cordonnier puisque le monde porte encore des souliers ? »

La passion de Vincent c’est le « barbeyage », autrement dit l’entretien des haies, avec la serpe, la faucille et la fourchette, pour permettre le passage des hommes et des machines, mais aussi pour bien d‘autres raisons. Pour la beauté des lieux, leur poésie. Plus prosaïquement : parce qu’on ne peut « rester à rien faire au milieu de tout le monde qui travaille ». Mais les haies disparaissent, comme le monde de Vincent, dans lequel « c’est pas de courir, mais d’aller régulièrement. » Le blé fait maintenant du mauvais pain. « Je suis retiré du temps. » Sans regrets ni rancune. Un jour « ils foutront mes sabots dans le feu, et voilà. »

Pour celles et ceux qui sont allé chercher l’eau au puits, qui ont connu la moisson avec un cheval (le cheval de mon parrain s’appelait Robic), c’est un coup de nostalgie assuré. Mais pas un coup de blues. Car il n’y a rien de larmoyant dans ce récit. Au contraire : si les gens se parlaient peu, certains s’aimaient, ou avaient de la tendresse, ou de l’amitié. Et ça s’entend, ça se voit, ça se lit. Par ailleurs, le travail de la terre et l’entretien des bêtes étaient des « valeurs ». Enfin, il n’y a aucune intention de prouver que la vie à cette époque était sans doute terriblement difficile. La vie était. Tout simplement. Elle était simple. Comme ceci : « J’ai pris la place dès que le père chez nous s’est mort, ma mère me dit : ça va t’i aller ? Moi je réponds : T’inquiète donc pas. Et de vrai, je coupe le blé comme mon père faisait. »

Signalons pour terminer que l’auteur utilise une langue au plus près de la terre et des mots simples comme ce qu’il y avait d’essentiel à dire, et ces réflexions, ces souvenirs, ces moments d’une vie sonnent formidablement bien. Un peu comme s’ils avaient été écrits par un Montaigne mayennais du début du XXe siècle.

Les premières lignes : « Des fois il vend une bête, je demande combien il a donné, le gars Cormier, il dit : moins que j’aurais voulu, ou bien : C’est pas trop mal. Jamais de prix. C’est pas tant ce qu’il touche, mais de savoir si je me trompe. J’ai bien une idée des bêtes, j’ai fait mon commerce assez longtemps, mais de l’heure qu’il est ça monte, ça descend. »

L’auteur
Photographe et écrivain, Jean-Loup Trassard est né en Mayenne en 1933.
Depuis ses premiers textes parus en 1960 dans La Nouvelle Revue Française, avec le soutien de Jean Paulhan, il a publié plus d'une vingtaine d'ouvrages, récit de voyage, romans, récits, dont L’Ancolie (Gallimard) ou Conversation avec le taupier (Le Temps qu’il fait).

Site Internet : http://www.jeanlouptrassard.com/

samedi 28 avril 2012

J'ai lu "Un peuple de promeneurs" d'Alexandre Romanès


Alexandre Romanès
Un peuple de promeneurs 
Histoires tziganes
128p, 11€
Gallimard, 2011

Les Gitans n’ont pas de chance : « Rien n’est plus visible qu’une minorité » et, autre particularité de cette « minorité », « être Gitan c’est aller en prison plus vite qu’un autre. » Les Gitans, on ne les croit jamais : « si tu veux dire la vérité / assures-toi que tu as un bon cheval » et on les prend toujours pour des voleurs – alors que « Vous les Français, vous avez volé la moitié de l’Afrique. / Curieusement, on dit jamais / que vous êtes des voleurs. » Dans Un Peuple de Promeneurs, dans ces histoires tziganes, il est donc souvent questions de brimades, de tracasseries administratives, des difficultés de la vie sociale, et des CRS. Mais il n’y a pas que les flics dans la vie, même s’ils sont envahissants. Alors on passe d’un poème où il est question des CRS – dont un CRS amoureux d’une Gitane – à la réflexion d’un gamin de dix ans : « Papa, ça serait joli s’il n’y avait que des femmes. » Des femmes comme la délicieuse Délia – « je ne bois jamais d’alcool / je ne bois que du champagne » – qui se demande « comment font les gadjos / pour reconnaitre leur maison ? / D’abord, elles sont moches, / et elles se ressemblent toutes. » Mais Délia restera-t-elle parmi les siens ? Car « Délia ou le vent, c’est pareil. »

Partir. Peut-on être plus « nomades » que les Gitans, ce « peuple de promeneurs » ? À une question posée à Tamara, 11 ans : « tu aimerais avoir une maison ? voici sa réponse : Pour quoi faire ? » Ou bien cet autre petit poème : « Je demande à Florina de dessiner une maison / Elle dessine une maison portée par des jambes. » Pourtant : « Dans la banlieue parisienne / j’aperçois un campement tzigane / sous une bretelle d’autoroute. / Les caravanes sont délabrées, / c’est la misère. » Dans ce campement ou dans un autre vivent des hommes et des femmes qui préfèrent cette liberté à celle, plus ou moins artificielle, d’un monde dans lequel « il paraît qu’il y a des garçons de mon âge / qui vitriolent le visage des jeunes femmes ; / que la foudre les anéantissent. » En effet, ou est le « bien », ou est le « mal » ?

Incroyable poésie qui semble faite de rien, de mots si simples, d’expressions si faciles. Rien n’est plus simple en effet que les mots utilisés, que les situations décrites, que les paroles transcrites. Une « nudité spirituelle » comme l’écrit Christian Bobin (à propos d’un autre livre : Sur l’épaule de l’ange.) Mais rien n’est plus évocateur que ces mots simples, qui parlent bien sûr du quotidien d’une communauté à qui on ne rend pas les choses faciles, mais aussi des mots qui disent les mêmes questions que se posent tout homme ou toute femme sur cette planète : les années passent, est-ce que le jour approche « où je prendrai mes filles dans mes bras pour la dernière fois ? » Puis-je avoir confiance en toi ? Le vent ne va-t-il pas arracher le chapiteau du cirque ? Quelle est la différence entre diplômes et intelligence ? Pourquoi cette mélodie me tire-t-elle des larmes ? Ou bien est-ce ce violon ? Des mots si simples enfin pour des réflexions si profondes : « on devrait avoir deux vies : / une pour apprendre / l’autre pour vivre » ou pour ce magnifique aphorisme « Tout ce qui n’est pas donné est perdu. » Attention : ce recueil de poèmes, plus ou moins en vers, plus ou moins en prose – aucune importance, disons en vers « libres » –, est un grand bol d’air, une lecture subversive. Pourrait donner des envies de liberté…

Alexandre Romanès est né à Paris en 1951. Il est le cofondateur du cirque Romanès, et l’auteur de plusieurs recueils de poèmes dédiés à la culture tzigane.

J'ai lu "Les Vents de Vancouver" de Kenneth White

Kenneth White Les vents de Vancouver, escales dans l’espace-temps du Pacifique Nord Kenneth White nous a déjà emmené dans des contrées ...