dimanche 24 février 2013

J'ai lu "Nouilles froides à Pyongyang" de Jean-Luc Coatalem


Jean-Luc COATALEM
Nouilles froides à Pyongyang
Récit de voyage
Grasset 2013

« Où allons-nous, nous qui n’allons nulle part dans ce pays qui n’existe pas ? » est une phrase du livre qui aurait pu se trouver en exergue au début de Nouilles froides à Pyongyang, récit dans lequel Jean-Luc Coatalem raconte un voyage en Corée du Nord effectué au printemps 2011 – donc avant la disparition du « Cher Leader » Kim Jong-il, remplacé depuis par son fils Kim Jong-un. Un voyage un peu particulier, très encadré, très contrôlé, mais qui livre au final un « journal de voyage, attentif mais distant, amusé parfois, jamais dupe ». Allons voir.

Avant de glisser sur la « rampe des longitudes », Jean-Luc Coatalem et son ami Clorinde obtiennent, sous prétexte de consulting en tourisme, des visas pour un pays « sur lequel on en sait moins que sur nos galaxies lointaines ». À l’arrivée les premières impressions sont mitigées : « Par le hublot, nous avons aperçu des collines rabotées, couleur pain brûlé, un porridge de rizières à sec, des chemins entortillés comme des vipères. » À l’aéroport : « Peu d’activité. Aucune circulation. Un camion crache derrière lui son panache de fumée – il marche au charbon faute d’essence. » Ce qui surprend le plus : le silence. « Aucune rumeur urbaine » comme à Paris ou dans une autre grande ville. Mais voici que s’avance Kim, le guide chargé de les accompagner. Et Kim 2 – pour surveiller Kim 1 ? Et Kim 3, le chauffeur… Le premier hôtel est quasi désert. Et pas question d’en sortir. De toute façon il n’y a pas grand-chose à faire dans la ville : « à neuf heure du soir, il n’y a, en effet, plus que l’obscurité ». La télé ne capte pas les chaînes de télé internationales. Ennui. Alors Coatalem lit Mardi, le roman de Melville, antidote à l’ennui. Dehors « les rues sont râpées et nues » et « les lampadaires trouaient une nuit inconsolable. » Et en Corée du Nord, tous les hôtels pour touristes se ressemblent.

Commencent le « programme » des visites. Tout ce qui était prévu au départ a été annulé dès l’arrivée. Passons. Et suivons le guide… Pas d’autres solutions. Heureusement l’auteur a l’art de raconter ses péripéties : formalités administratives avec coupure de courant, longs déplacements en minibus, attentes, visite d’une coopérative-modèle, d’une rizière-modèle, d’une maison-modèle, et du mausolée de Kim Il-sung, avec sa déambulation et son salut au sarcophage, ce qui donne l’un des morceaux de bravoure du récit. Cotalem, qui se définit comme une sorte de « Tintin virevoltant » et qui a « tendance à cavaler dès que la portière s’ouvre » comprendra vite qu’il est prisonnier du minibus et de ses guides. Et rongera son frein, avec un état d’esprit oscillant entre énervement et mélancolie. Parfois à la limite : « Clorinde et moi cachons un sourire. Le boniment ne prend plus. » Et jusqu’à la révolte, en visitant un musée interdit.

La bière – à défaut d’une vodka russe – fait un peu oublier, ou au moins « trouver le recul pour poursuivre l’aventure » d’un séjour où « tout est coulé dans le béton ». L’imprévu n’est pas possible. La bière combat aussi la solitude, dans un pays où les autres touristes sont invisibles, et où les rencontres avec les habitants sont impossibles. « Pour le Coréen de la rue, nous restons des pestiférés. » Difficile, voire impossible d’engager la conversation sans raison, ou alors avec des personnes « prévenues à l’avance, conditionnées » pour vous répondre. Peut-être même qu’une tentative un peu forcée se retournerait contre l’habitant, qui deviendrait suspect… « Parler, c’est le début des ennuis. » Quant à draguer… Les « beautés vulgaires » à talons aiguilles (qui valent une fortune) ont des sourires « qui font mal parce que ce sont les premiers que j’échange avec quelqu’un depuis que je suis au royaume des Kim. » Il y a bien quelques « porosités » avec la Chine, et quelques denrées et produits manufacturés qui sont introduits en Corée et qui permettent à quelques privilégiés « d’apercevoir un peu du monde extérieur, telle une éclaircie dans leur ciel plombé. » L’auteur, avec beaucoup d’humour et un zeste de désespoir, se demande si lui et son compagnon de voyage ne sont pas semblables à ces « tortues qui pompaient leur filet d’air parmi des étrons flottant » dans un aquarium puant d’un hall d’hôtel. Et « pourquoi être venu au pays de la nuit noire ? » à part pour « publier un voyage de quinze mille signes ? »

« Je me laissai alors tomber sur mon lit comme une nouille froide dans Pyongyang déserte. Et ce fut bien ainsi » pourrait être la conclusion de cet excellent « récit de voyage » (sous-titre de ce livre) avec tous les ingrédients du genre : lieu exotique, peu connu, peu visité, aventures, rencontres (rares), états d’âmes, paysages, informations politiques et géopolitiques (l’auteur s’est documenté et ses propos sont très informatifs), histoire, culture (si l’on peut dire) et traductions culinaires. Dont les fameuses nouilles, plat national qui a laissé l’auteur sur sa faim…

Jean-Luc Coatalem, rédacteur en chef adjoint à Géo est l'auteur chez Grasset de Je suis dans les mers du Sud (prix des Deux-Magots, 2002), La consolation des voyages (2004) et, récemment, Le dernier roi d'Angkor (2010). Il a reçu le Prix Roger-Nimier en 2012 pour Le Gouverneur d'Antipodia (Le Dilettante, 2012 & J'ai Lu).

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