Christian
Garcin
Ienisseï
suivi de Russie blanche
Récit
Éditions
Verdier 2014
96p,
11.80€
Ça
n’est pas la première fois que Christian Garcin voyage en Sibérie, ni la
première fois qu’il propose des récits de ces voyages et de ses « croisière »
sur un fleuve : voir par exemple le récit sur la Lena dans En descendant les fleuves – Carnets de
l’Extrême-Orient russe, avec Éric Faye, (Stock 2011). Il nous propose ici
deux courts textes, dont le premier, Ienisseï,
est un récit qui raconte ce qu’il voit, ce qu’il entend durant la descente du
fleuve Ienisseï, de Krasnoïarsk à son embouchure dans l’Arctique. Et ça
commence mal : pas assez d’eau pour que le bateau, l’Alexandre Matrosov, puisse naviguer… Un moment il est même envisagé
d’ouvrir les vannes d’un barrage. Il y a toujours des problèmes, en Sibérie, et
il y a toujours des solutions… Plus ou
moins démesurées. La solution sera plus naturelle. Et l’on pourra partir.
Partir,
longer des côtes. Accoster. Visiter les lieux, chargés d’histoires, rencontrer
les habitants, plus ou moins résignés. Ici l’un de ces « villages des
babouchkas », là où les hommes ont déserté, « vaincus par l’abus
d’alcool ». Là, une « chanteuse dogane dans la lumière ocre du tchoum, entre odeur de chèvres et brouet
de poissons de rivière. » Ailleurs, « des théories de conteneurs
reconvertis en baraques de pécheurs, posées là comme des dominos de sucre roux
sur une nappe claire. » Le bateau transporte des troupes d’artistes et de
chanteurs qui se produisent depuis le pont lors des escales. Et quand il n’y a
pas assez de fond pour s’approcher des côtes, ce sont les villageois qui
viennent autour du navire sur leurs barques, pour écouter, et qui, enchantés,
font demi-tour et retournent au village. Des instants probablement magiques
pour tout voyageur. Magique aussi, mais pour d’autres raisons : l’arrivée
à Doudinka, là où ont débarqués des milliers de prisonniers du Goulag que l’on
dirigeait ensuite vers les mines de Norilsk, ville qui apparaît aujourd’hui à
l’auteur « violemment jaune et tragiquement schizophrène. »
La
lenteur de la navigation redonne à l’auteur le « sentiment
géographie » que nous avons tous un peu perdu, et ces moments sont
ressentis comme « des tentatives de restitutions de l’espace, voire de
sensations (même illusoires) d’appropriation de ces mêmes espaces. » Aller
doucement, prendre le temps d’écouter, de voir, de comprendre. Comme le fait Christian
Garcin, qui écrit ce voyage au-delà du cercle polaire comme s’il nous parlait,
là, comme ça, assis à la terrasse d’un café. Tranquillement. Comme un long
voyage qui se déroule. Et le récit du voyage – la causerie à la terrasse – est
agrémenté d’informations diverses, actuelles ou historiques, sur les
camps, les anciennes usines, le délabrement, les risques écologiques, les coups
d’éclats des Pussy Riots. D’anecdotes, de rencontres, de brefs dialogues
parfois un peu surréalistes. Russie
blanche est une brève évocation de la Biélorussie – qui n’est pas la
Russie. Deux promenades, un peu courtes, peut-être. Il y aura sans doute
d’autres livres pour approfondir. Mais ces deux récits sont déjà des
invitations au voyage, à l’écoute des autres.
Né
en 1959 à Marseille, Christian Garcin est l'auteur de nombreux ouvrages
(romans, nouvelles, essais, carnets de voyage.), parmi lesquels Le Vol du pigeon voyageur (Gallimard,
2000), La Piste mongole (Verdier,
2009). Il. a reçu le prix Roger-Caillois en 2012 pour l'ensemble de son œuvre.