mardi 20 septembre 2011

J'ai lu "Un cargo pour Berlin" de Fred Paronuzzi


Nour est une adolescente qui vit dans un pays que l’on reconnaitra sans peine, et avec une culture un peu différente de ce que nous connaissons ici, notamment en ce qui concerne l’amour et le mariage. Sur ce point au moins, un monde de lâcheté et de conventions. Tariq est un « jeune » pour qui « partir » est le mot le plus important. Pas le plus beau, non, mais le plus important. Tariq a le mot « partir » à la bouche. « Partir. Pas comme une invitation au voyage, non, plutôt une évasion. Partir parce qu’on se sait prisonnier d’une cage dont personne d’autre ne distingue les barreaux. Partir, car ici c’est sans espoir. » Tous les deux vont vivre des injustices, se révolter, s’enfuir, rêver de « prendre un cargo pour Berlin. » N’est-ce pas là un rêve qui peut mener loin ?

Pour partir d’ici, après une course dans le désert, il sera forcément question de bateau. « Nous, ce qu’on veut, c’est traverser. » Mais la mer est grande pour les yeux d’un enfant, et n’est pas rassurante. « La mer n’est pas bleue, comme on le raconte, mais plutôt d’un gris tirant sur le vert. Et elle semble en effet infinie. Des vagues ourlées d’écume déferlent vers la côte, puis repartent. On dirait un animal qui rampe, jamais apaisé. »

La traversée sera terrible. Puis l’Espagne bientôt en vue, ce « rêve que l’on peut, faute de le toucher, désigner tant il est proche. » Mais une fois de l’autre côté, les problèmes sont loin d’être réglés. La vie clandestine est pendant un certain temps la seule solution. Des jours à errer, à chercher de quoi survivre. Des jours à se demander quand pourra-t-on à nouveau « sentir bon » et surtout ne plus avoir peur. Des jours à penser à sa famille et aux autres, restés là-bas.

Les personnages sont bien typés, sans doute est-ce utile dans les livres pour la jeunesse. Il n’y a guère d’allusions, tout est clairement exprimé. La mère de Nour est bonne et généreuse mais ne peut rien faire sinon en cachette. Le père est borné, voire méchant – mais il pleurera, bien sûr. Le point de vue des émigrants, comme celui de « ceux d’en face » qui ont très peur de cette « invasion », est également bien dessiné. Non sans humour : « Sans déconner, si les Africains se mettaient à boire l’eau de mer pour traverser à pied, ils seraient bien capables de pisser tous en même temps, de l’autre côté, histoire de faire remonter le niveau… »

Un livre qui explique les sentiments de chacun, des deux côtés, qui montre les risques, les espoirs, les incertitudes.

Les premières lignes « Une peur féroce la marque de son empreinte. Elle la tient, impitoyable, fait ployer sa nuque, tandis qu’une vague nauséeuse lui soulève l’estomac au rythme des cahots. La chaleur est étouffante et, par instants, elle a le sentiment d’être ballottée dans un cercueil. » Editions Thierry Magnier 2011.

J'ai lu "Nos cheveux blanchiront avec nos yeux" de Thomas Vinau


Un livre qui place en épigraphe le fameux « Quand on aime il faut partir » de Cendrars est un livre qu’il faut regarder de plus près.
Soit un homme qui veut s’éloigner de sa compagne, parce qu’il ressent le besoin « d’essayer des choses ». L’un des moyens les plus sûrs pour mettre de la distance est le bateau, le bon vieux bateau de pêche qui reste plusieurs jours en mer. C’est donc par là que le périple – le road-movie, pour faire moderne – de Walther commence. Puis viennent les « îles sans routes » et les villes avec hôtels et personnel avenant. Lui « a l’impression de marcher au milieu d’une galerie de tableaux magnifiques ». Prague. Bruxelles. Les Flandres. L’Espagne. Et d’autres horizons. Si loin, et si près. « Je ne suis pas chez moi ici. Je ne suis nulle part chez moi. Il y a ce gros bloc de nuit et de temps qui nous sépare. Mais je n’ai pas la sensation de subir cette distance. Au contraire, elle est toute chaude. Elle me rapproche de toi. » Ce pourrait être la conclusion de la première partie « le dehors du dedans… »
La seconde partie, intitulée « le dedans du dehors… » raconte la fin de l’errance et l’installation du couple, avec cette femme qui a su le laisser partir, et revenir, avec des questions sur la vie « à ras de terre » et l’environnement. Bouleaux, mésanges, chansons douces remplacent le port, les bruits et les lumières du voyage. Un enfant remplace les compagnons de route.
Chaque chapitre est un petit poème en prose, un instantané, avec un titre et une douzaine de lignes. Les textes décrivent le réel avec beaucoup de poésie. Un livre qui sonne bien, doux, intimiste, presque mélancolique. Saluons également le projet éditorial de ce nouvel éditeur, et l’objet réussi que nous tenons dans nos mains.

Les premières lignes : « L’idée. L’idée de partir était comme un petit feu de bois placé au centre de son cerveau. Au bout de quelques temps, il comprit que les flammes ne s’éteindraient pas d’elles-mêmes. » Alma éditeur 2011.

J'ai lu "Ru" de Kim Thúy

Il est précisé au début du livre que « en français, ru signifie « petit ruisseau » et, au figuré, « écoulement (de larme, de sang, d’argent) » (Le Robert historique). En vietnamien, ru signifie « berceuse, bercer ». On ne peut pas dire que l’on est beaucoup bercé dans ce livre. Le souvenir qui reste après la lecture de ces souvenirs, de Saigon en Malaisie et jusqu’au Québec, est plutôt celui de l’agitation…
Par exemple celle de l’évasion d’un pays qui ne veut plus de vous – le Vietnam – et qui vous transforme en boat-people. « Les gens assis sur le pont nous rapportaient qu’il n’y avait plus de ligne de démarcation entre le bleu du ciel et le bleu de la mer. On ne savait donc pas si on se dirigeait vers le ciel ou si on s’enfonçait dans les profondeurs de l’eau. Le paradis et l’enfer s’étaient enlacés dans le ventre de notre bateau. »
Plus loin, dans un autre pays, il faudra reconstruire. Et l’auteur, enfant, se souvient des recommandations de ses parents. Par exemple celle-ci qui consiste à ne pas trop posséder. « Plus encore, ils nous ont offert des pieds pour marcher jusqu’à nos rêves, jusqu’à l’infini. C’est peut-être suffisant comme bagages pour continuer notre voyage par nous-mêmes. Sinon, nous encombrerions inutilement notre trajet avec des biens à transporter, à assurer, à entretenir. » Ailleurs la mère donne deux fruits à partager entre trois frères et sœurs…
Un très beau livres, avec des textes courts et incisifs, poétiques, mêlant le banal et l’insoutenable, le comique et le tragique, le quotidien et le rêve.

Les premières lignes : « Je suis venue au monde pendant l’offensive du Têt, aux premiers jours de la nouvelle année du singe, lorsque les longues chaînes de pétards accrochées devant les maisons explosaient en polyphonie avec le son des mitraillettes. » Editions Liana Levi 2009.

dimanche 4 septembre 2011

J'ai lu "Dans les forêts de Sibérie" de Sylvain Tesson

Quand on a lu les récits de voyages de Sylvain Tesson on s’attend à lire le récit d’une nouvelle grande traversée, à pied ou à cheval, à moto peut-être. Au vu du titre ce sera donc dans les forêts de Sibérie, cette fois. Erreur : Dans les forêts de Sibérie n’est pas un récit de voyage, mais le journal d’un séjour de février à juillet 2010 dans une cabane au bord du Baïkal. Tesson serait resté sur place ? Lui qui ne tient pas en place ? Allons voir.

« Je m’étais promis avant mes quarante ans de vivre en ermite au fonds des bois ». Cette très belle première phrase – qui deviendra peut-être un classique comme celle-ci à laquelle elle me fait penser : « J’avais une ferme en Afrique… » qui sait ? – permet de comprendre le point de départ. Après avoir bourlingué sur tous les terrains du monde, y compris en Sibérie, Sylvain Tesson débarque – est débarqué – un beau matin de février 2010, au bord du Baïkal, avec des livres, des cigares et de la vodka, des provisions, et un peu de matériel de haute technologie, qui tombera vite en panne… Le futur ermite « au seuil d’un rêve vieux de sept ans » gagne ses premières victoires, qui consistent à vaincre cette « envie de faire demi-tour lorsqu’on est au bord de saisir ce que l’on désire », et à ne pas considérer que « la glace a des airs de linceuls. » Sûr que « la présence des autres affadit le monde » et que « la solitude est cette conquête qui vous rend jouissance des choses » Tesson regarde le camion s’éloigner en pensant : « Je vais enfin savoir si j’ai une vie intérieur. »

Une « vie sobre et belle »

Première constatation : la vie d’ermite ressemble à celle du grimpeur. « Je découvre le vertige de l’ermite, la peur du vide temporel. Le même serrement de cœur que sur la falaise – non pour ce qu’il y a dessous mais pour ce qu’il y a dedans. » Et première question : qu’est-ce que « être libre de tout dans un monde où il n’y a rien à faire » ?
Les réponses arrivent vite. « Prodigieux comme on se déshabitue vite du barnum de la vie urbaine. »
Les tâches sont quotidiennes, répétitives, utiles. La journée est ponctuée de « mesures dont le battement constitue un solfège. » Ces travaux sont les « immenses événements de la vie dans les bois ». Et si les rafales de vent ralentissent le travail, elles ne l’interrompent pas. Quand « il y a plus de vérité dans les coups de ma hache et le ricanement des geais » la psychologie peut aller se rhabiller. Et quand on maîtrise son sujet, que peut-il arriver ? « L’ennemi c’est la nouveauté. » Alors…
« L’homme libre possède le temps » L’homme libre a le temps de réfléchir, de contempler, de voir des choses qu’il n’avait jamais vues. « Ce matin l’aube s’empêtre dans les tulles. » Le soir c’est le retour de la pêche, avec deux ou trois ombles. Le feu crépite. Même si certains jours « la grêle brouille le bronze des taïgas », il faut admettre que « le paradis aurait dû se situer ici : une splendeur infaillible, pas de serpents, impossible de vivre nu et trop de choses à faire pour avoir le temps d’inventer un dieu. »
Si « la solitude (c’est) ce que les autres perdent à n’être pas auprès de celui qui l’éprouve » il reste que « le chagrin de ne pas partager avec un être aimé la beauté des moments vécus » est une « morsure douloureuse ». Ce serait bien plus beau si je pouvais le dire à quelqu’un, disait un alpiniste seul au sommet d’une montagne, dans un dessin de Samivel. L’écriture étant également un moyen de tout raconter au retour, Tesson écrit un « journal intime pour lutter contre l’oubli, offrir un supplétif à la mémoire. » Un journal intime de l’immensité… Cigares, vodka. La pluie. Mais un toit. « La pluie a été inventée pour que l’homme se sente heureux sous un toit. » Alors un jour, au milieu du séjour : « Rien ne manque de ma vie d’avant. »

Rendre hommage à nos rêves d’enfant

Tesson connait bien la Sibérie et le Baïkal. Il ne découvre donc pas totalement les lieux qui l’entourent. La découverte est dans le temps. Il a le temps de s’aventurer loin de sa cabane, à pied, ou en kayak. Et il découvre cette région durant deux saisons, donc dans des conditions très différentes. Il a toujours autant de facilité à décrire d’incroyables randonnées et à nous faire vibrer au récit de ses incursions dans « le royaume d’en haut ». Les bivouacs à -25°, les orages terribles, les conditions surhumaines – pour nous – sont le lot commun de cet homme qui pense que l’on peut, que l’on doit se réveiller de temps en temps avec le ciel comme plafond et les étoiles ou le soleil comme lumière. Ce ne sont pas quelques tempêtes, quelques lynx, des milliards de moustiques ou quelques ours bruns qui doivent empêcher le rêve. Les chiens couchés. Le kayak remonté. Les poissons qui grillent. La musique de la houle. « La vie ne devrait être que cela : l’hommage rendu par l’adulte à ses rêves d’enfant. »
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, des rencontres il y en a, même dans les confins de la Sibérie. Un jour Tesson s’ennuie, équipe un traineau et part pour rendre une visite à son plus proche voisin, à 60 kilomètres, soit trois jours de marche sur le lac gelé. Parfois ce sont les visites – bruyantes et alcoolisées, russes, quoi – qui viennent interrompre sa solitude. Des trappeurs, mais aussi des escouades de 4X4 de ces nouveaux russes riches qui eux aussi adoptent le lac comme terrain de leurs jeux.
Il y a aussi les rencontres avec les animaux. Des oiseaux, deux chiens.
Enfin, si les températures de l’hiver descendaient vers les -30°, au moins le sol gelé facilitait les déplacements. Au printemps, c’est « un spectacle qui devait consterner les généraux prussiens » : c’est le dégel, la débâcle. Plus rien ne tient, ni le sol, ni la glace. Eclairs, vent, orages, déluges, tout se défait en quelques heures.

Le Credo des cabanes

Ne plus avoir une opinion sur tout, ne plus être obligé de répondre au téléphone, ni de s’indigner… mais mener une « existence resserrée autour de gestes simples », une existence dans laquelle l’homme n’accapare pas l’attention de l’homme, dans laquelle chaque acte ne se déroule pas au détriment de mille autres, passer une journée, une vie « à ne pas nuire » à aucun être vivant de cette planète, voilà quelques réflexions, quelles réponses de Sylvain Tesson à l’issue de ce séjour. Ne plus être un « chasseur-cueilleur d’un monde dénaturé » avec un caddie pour emblème, mais vivre avec économie, « vivre replié dans un espace que le regard embrasse, qu’une journée de marche permet de circonscrire et que l’esprit se représente. »
Tesson a semble-t-il au moins provisoirement fait le tour des voyages aux longs cours. « J’étais enchaîné à l’obsession du mouvement, drogué d’espace. Je courais après le temps. Je croyais qu’il se cachait au fond des horizons. » Ce séjour lui aura permis de comprendre qu’ « il suffisait de demander à l’immobilité ce que le voyage ne m’apportait plus : la paix. » Il dit n’être ni vagabond, ni rebelle, ni hacker, ni anarchiste, mais simplement ermite, celui « qui se tient à l’écart, dans un refus poli », de la rumeur et de la fureur du monde ; celui qui vit, qui peuple « la seule partie qui vaille : l’instant » et prône quelques principes, comme le principe de non-délégation – pas de voiture incite à marcher, pas de supermarché incite à pêcher, pas de chaudière incite à fendre du bois, pas de télé incite à lire – et principe de proximité.

« Usage de la fenêtre : inviter la beauté à entrer et laisser l’inspiration sortir. »

Au terme de la lecture nous avons le récit d’une expérience. Une expérience personnelle très bien traduite avec la langue que cet auteur sait bien utiliser. La langue est belle, les mots souvent simples et clairs – pas de « novlangue, ce qu’il déteste – avec parfois une pointe d’humour à la Cioran. (« Pourquoi cette foutue porte ne s’ouvre-t-elle jamais sur une championne de ski danoise venue fêter ses vingt-trois ans sur les bords du Baïkal ? ») Tesson est-il un adepte du « pofigisme », ce « profond mépris envers toute espérance », cet « état de passivité intérieure corrigée par une force vitale », autre façon de décrire l’âme russe ?
Chacun tirera ce qu’il voudra, ce qu’il pourra de ce livre dans lequel Tesson propose des réflexions et une vision du monde que son séjour lui permettent de définir, en comparaison ou en opposition de notre mode de vie occidental, On retiendra par exemple cette très belle phrase : « Usage de la fenêtre : inviter la beauté à entrer et laisser l’inspiration sortir » ou encore la réflexion suivante : « le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus chers que l’or. Sur cette Terre surpeuplée, surchauffée, bruyante, une cabane forestière est un eldorado. »
Il s’agit de l’un de ces livres qui permettent à chacun de nous de puiser un peu plus de force pour tenter de sortir d’une condition est peu trop conditionné. Les conclusions de Sylvain Tesson à l’issue de son séjour au Baïkal ne sont pas toujours faciles à entendre (« j’ai été libre car sans l’autre, la liberté ne connait plus de limite ») mais elles sont à écouter.
Terminons par cette pirouette, cette répartie qui semble un peu facile, et qui pourtant décrit avec humour mais aussi avec consternation notre monde mercanto-peopolitisé, et, par opposition, un autre monde qui pourrait exister  et dans lequel « Oh ! Mais c’est Madonna ! » deviendrait : « Ciel, une grue cendrée ! »

Les premières lignes : « Je m’étais promis avant mes quarante ans de vivre en ermite au fond des bois. Je me suis installé pendant six mois dans une cabane sibérienne sur les rives du lac Baïkal, à la pointe du cap des Cèdres du Nord. Un village à cent vingt kilomètres, pas de voisins, par de routes d’accès, parfois une visite. L’hiver, des températures de -30°C, l’été des ours sur les berges. Bref, le paradis. J’y ai emporté des livres, des cigares et de la vodka. Le reste – l’espace, le silence et la solitude – était déjà là. Dans ce désert, je me suis inventé une vie sobre et belle. » Gallimard 2011.

J'ai lu "Les Vents de Vancouver" de Kenneth White

Kenneth White Les vents de Vancouver, escales dans l’espace-temps du Pacifique Nord Kenneth White nous a déjà emmené dans des contrées ...