Chroniques littéraires autour de la littérature de voyage et des écrivains voyageurs.
mardi 20 décembre 2011
J'ai lu "Karen et moi" de Nathalie Skowronek
Nathalie Skowronek
Karen et moi
Arléa 2011
« J’avais une ferme en Afrique. Au pied des montagnes du Ngong. »
La narratrice de Karen et moi (qui est peut-être l’auteure, peut-être pas, il est indiqué « roman » sur la page de titre), découvre Karen Blixen à l’âge de onze ans, sous une tente, au Kenya, lors d’un voyage avec ses parents. La Ferme africaine est une révélation. La révélation que les vies des un(e)s et des autres se ressemblent. La révélation que les vies des un(e)s peuvent aider les autres à vivre. Et alors que rien ne la destinait à l’écriture – mais nos choix sont-ils des choix ? devenir vendeuse dans une boutique est-il un choix ? – écrire la vie de Karen Blixen sera un objectif obsédant. Parce qu’elle sent qu’écrire cette vie va l’aider à réaliser la sienne.
Le père de Karen se suicide quand elle a dix ans. Il lègue son héritage à sa « fille préférée ». Le père de la narratrice « donne parfois l’impression d’être le spectateur de sa propre vie. » A l’âge de vingt-six ans Karen part en Afrique avec un homme qui n’est pas celui qu’elle aime. Mais elle a d’autres rêves, et c’est peut-être le bon moment. Sa mère la soutient. La narratrice, qui a pourtant appris de son grand-père « ce qu’étaient ces sentiments d’urgence et de précarité, lui qui ne sortait jamais de chez lui sans une petite bourse remplie de diamants, son passeport pour pouvoir tout quitter, s’enfuir à tout instant », ne sait pas encore si elle doit continuer de faire semblant ou de tout lâcher.
Au fil du temps, de la narration, de la biographie, nous passons en permanence de paragraphes consacrés à Karen Blixen – à sa personnalité, aux traits les plus marquants de sa personnalité, de son caractère, à ses aventures, aux significations de ces aventures, de sa quête, de ses échecs – à des paragraphes dans lesquels la narratrice analyse son propre comportement à la lumière de celui de Karen, la femme modèle, son comportement dans la vie, dans ses relations avec les autres, et aussi sa relation avec l’écriture.
« Je le porte en moi, ce livre que je voudrais écrire. Je voudrais raconter la vie de Karen Blixen. Cette femme me parle. Karen est ma sœur, son chemin est le mien. Je voudrais dire ses désirs, ses épreuves, son besoin d’exister. Tracer les contours de ce qui l’amène à créer. J’ai l’impression qu’en parlant d’elle j’arriverai à parler de moi. Je suis lasse, lasse de mentir. Et comme Karen, j’ai l’espoir que l’écriture pourra me sauver. »
Cette phrase résume le livre, et la rédaction du livre dans le livre se poursuit donc, avec tous les grands moments de la vie de Karen, et notamment sa rencontre avec Denys. Et le retour au pays, après l’échec en Afrique. Mais un retour qui ramène une expérience et un contenu qui servira plus tard dans les contes et les récits. Quelques belles phrases, pleines d’émotion, et de sens. « Elle a vendu ses terres, sa maison, ses meubles, sa vaisselle, son horloge, ses vêtements. Elle n’emporte que treize malles contenant les restes de ses dix-sept années passées au Kenya. Et notamment ses verres en cristal : les lèvres et les mains de mes amis les avaient touchés, je n’ai pas pu m’en séparer. »
Treize malles et quelques verres, n’est-ce pas suffisant, semblent nous dire Karen et la narratrice ? Qu’est-ce qui est important dans la vie, dans sa vie ? Qu’est-ce que l’on reçoit, qu’est-ce que l’on transmet ? Et comment ? Et quel est le poids de la société, des conventions contre lesquelles il faut faire attention, au risque de se laisser enfermer ? Finalement le message de Karen pourrait être : « ne pas craindre d’avoir de grands rêves, aller voir le vaste monde, placer la liberté au plus haut. »
Les premières lignes : « Les volumes s’accumulent sur la table de mon bureau. Des éditions courantes, des traductions. Je les classe en piles et corne des pages. Je prends des notes, aussi. Dans le tas, il y a un essai en danois sur le père de Karen – je ne lis pas le danois, mais il me semble me rapprocher d’elle –, quelques ouvrages illustrés, puis les romans, les contes et la correspondance. Appuyés contre la fenêtre, d’autres livres, mes compagnons de route, les Mémoires d’Hadrien, Aurélien, L’Appel de la forêt. Ils me servent de repères. » Ed. Arléa 2011.
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