dimanche 25 mars 2012

J'ai lu "Transsibérien" de Dominique Fernandez


Dominique Fernandez - Transsibérien
Photographies de Ferrante Ferranti

C’est en mai 2010 qu’une vingtaine d’écrivains, journalistes et photographes, embarquent à bord du Transsibérien, pour un voyage culturel franco-russe. Transsibérien est le récit que rapporte Dominique Fernandez, l’un des écrivains invités, illustrés par les photographies de Ferrante Ferranti. (Les deux hommes ont déjà travaillé et écrit des livres ensemble.)

Les joies du voyage en Sibérie

Départ : Moscou. En quelques années la place Rouge a changé. Ce qui se remarque le plus n’est pas le Kremlin mais le fameux Goum, ce magasin du peuple, devenu aujourd’hui une galerie de « boutiques de luxe à la façade étincelante, cavernes d’Ali Baba inaccessibles à qui n’est pas un nouveau Russe. » L’auteur constate que les Russes sont passés « d’un despotisme sanglant à un capitalisme agressif. » Est-ce un progrès ? Pour qui ? Cette question se posera plusieurs fois tout au long du voyage.
Nijni-Novgorod. Ville de moments importants et de célébrités. Andreï Sakharov y fut exilé, avant de recevoir le Nobel de la Paix. Et Maxime Gorki est né dans cette ville, qui porta un temps son nom en son honneur. Comme il le fera ailleurs, l’arrêt dans cette ville – très court : une journée – est l’occasion pour Fernandez de revenir sur l’histoire et même sur l’Histoire.
Continuons. A Kazan, « où Mahomet défend le vin, mais l’autorise comme remède dans certaines maladies, les marchands de vin portaient sur leur enseigne le mot balzam (pharmacie). Le Tatar assoiffé entrait dans la boutique, buvait une rase et ressortait guéri. » Kazan est aussi la patrie de Rudolf Noureev.
Puis le paysage change. « La différence entre les routes russes et les routes sibériennes était frappante : au lieu de chaussées goudronnées, il n’y avait plus que des chemins mal empierrés, souvent des pistes de terre, plus ou moins défoncées, qui desservaient de petits villages de bois à toits de tôle. Nous étions passés dans un autre monde, fait de pauvreté et de simplicité. »
Sibérie. La terre des exilés. La terre des moustiques et de l’ennui… Fernandez est un peu gêné. « Et nous, les quinze écrivains, de nous laisser promener dans un train « de luxe » (pour la Russie) à travers ces régions à tout jamais maudites… » Sibérie : les arbres derrière la vitre du train. « Ce n’est ni gai ni triste, l’humeur psychologique n’a rien à voir là-dedans. Les yeux grands ouverts à dévorer l’espace, je n’en viendrai jamais à bout. J’admire, jusqu’à la limite de mes forces. La forêt est devant moi, dans tout l’éclat de sa présence. »
Irkoutsk est « la ville la plus séduisante de Sibérie. » Et un bus transporte le groupe jusqu’à une petite bourgade au bord du lac Baïkal – qui, s’étonne Fernandez, malgré son importance, « n’a jamais fourni un sujet ou servi de décor à un grand roman russe », avant de signaler le récit du « jeune écrivain Sylvain Tesson. »
Nous laisserons les lecteurs passer par Oulan-Oudé, par la Bouriatie, et terminer par trois jours dans le Transsibérien avant d’arriver à son terminus : Vladivostok.

La culture sibérienne

Le voyage est autant « culturel » que « touristique ». Et de nombreuses « rencontres » avec la presse, avec les chargés de la Culture, avec les lecteurs, émaillent le parcours. Rarement profitables, souvent sources d’incompréhensions mutuelles. Fernandez avoue ignorer qui est Gabdoulla Toukaï, le « Pouchkine tatar » et les étudiants d’ici où là n’ont évidemment jamais entendu parler des « écrivains » qui sont dans le train. Les discussions tournent parfois aux échanges politiques. Si les voyageurs ne sont pas dupes, Fernandez tempère. « Une fois de plus, nous aurions tort de nous défier d’une manifestation qui, préparée pour nous, n’en garde pas moins une saveur authentique. » Les fanfares ou les chorales accueillent toujours les voyageurs sur les quais… Et puis, comment expliquer à des sibériens que l’occident est envahi par le mode de vie américain (roman, cinéma, nourriture…) ?
Ce récit – Fernandez nous prévient et s’en excuse – « sera farci de lectures et relectures. » Il fait donc une grande place à la littérature russe, et notamment sibérienne. Tchékhov, Résurrection de Tolstoï, Vassili Grossman, Evguenia Guinzbourg, Varlam Chalamov, Slavomar Rawicz… La littérature française n’a pas oublié ces contrées et les « aventures » qui pouvaient y advenir, comme Le Maître d’armes d’Alexandre Dumas – livre peu connu en France – ou Michel Strogoff de Jules Verne – roman ignoré des Russes. Beaucoup de réflexions – et d’anecdotes – autour de ces livres. Beaucoup d’autres livres sont cités et le lecteur pourra se constituer une bibliothèque (trans)sibérienne. Beaucoup d’analyses et de réflexions sur l’art, sur l’architecture, sur la peinture – et la découverte de quelques peintres peu connus en nos contrées, comme Nicolaï Roerich. « La peinture des années soviétique n’est pas si nulle que cela, il faudrait rouvrir le dossier. » Bien sûr la musique n’est pas oubliée. Comme à Ekaterinbourg, haut lieu de la musique classique. Soirée à l’opéra. Fernandez égratigne un peu ses compagnons de voyage, qui ne l’accompagnent pas dans la « bonbonnière à l’italienne » pour un Barbier de Séville passable mais qui démontre que « le sens du comique fait défaut au tempérament russe. » – Plus loin Fernandez analyse un autre penchant de l’âme russe : la « déraison du sacrifice », cette idée qu’il faut de temps en temps amputer la société d’un (ou plusieurs) innocent(s) pour assurer la survie collective. Autre grand lieu de la musique russe : Novossibirsk, avec son chef charismatique, Evgueni Mraveinski.

Récit foisonnant, très riche d’informations sur l’Histoire – on y croise bien sûr tous les grands personnages : Ivan le Terrible, Nicolas II, Lénine, Staline… les cultures, la société actuelle. Riche d’informations également sur le voyage en train, dans le Transsibérien, qui nécessite quelques règles et habitudes que les voyageurs observent assez facilement. Les wagons sont privatisés. Même s’il faut traverser les voitures pour se rendre au wagon restaurant. À noter que ce parcours a ceci de particulier : toutes les gares, y compris la gare d’arrivée, affichent l’heure de Moscou, et non pas l’heure affichée par la montre du voyageur qui tient compte des changements de fuseaux horaires. On voit déjà ce qui est sous-jacent : le pouvoir que l’immense Russie tente de conserver à Moscou. Et donc quelques dialogues de sourds entre les « autorités » locales, administratives ou culturelles, et des voyageurs occidentaux – même les plus avertis : Dominique Fernandez n’en est pas à son premier voyage sur ces terres.
Et comme toujours avec cet auteur, un très bon récit de voyage de nos jours en Sibérie, plus « culturel » que géographique.

Les premières lignes : « Le Transsibérien quitte chaque jour Moscou, gare de Iaroslav, à 16h50 (heure de Moscou = Paris +2). Une semaine plus tard il arrive à Vladivostok, son terminus en Sibérie orientale. Il est alors, à la montre du voyageur, 9h30 (heure de Vladivostok = Moscou +7). Le train n’a pas pris une minute de retard, bien qu’il ait parcouru 9288 kilomètres. La fameuse incurie russe ? Ignorée de l’organisation ferroviaire, qui non seulement respecte l’horaire avec une précision méticuleuse, mais se montre exemplaire jusque dans le programme esthétique. La gare de Vladivostok, point d’arrivée, est l’exacte réplique de la gare de Iaroslav à Moscou, point de départ : une sorte de château russe, blanc ; de style composite, avec un corps central et deux ailes, assemblage harmonieux d’arches, de toits pointus, de créneaux, non sans un brin de fantaisie supposée cosaque. » Éditions Grasset 2012.

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