mercredi 19 janvier 2011

J'ai lu "En remontant les ruisseaux. Sur l’Aubrac et la Margeride" de Jean Rodier

Dans En remontant les ruisseaux - Sur l’Aubrac et la Margeride, titre prometteur et bucolique, Jean Rodier nous emmène en promenade, en vagabondage, dans un pays qui gagne certainement à être découvert : le Haut Gévaudan. Encore que… Il est peut-être préférable que vous ne lisiez pas cette chronique. Elle pourrait vous donner envie de passer par là, et finalement d’y croiser la foule des autres lecteurs de ces lignes. La canne à pêche à la main. La Lozère c’est bien connu est « froide, ventée, inhospitalière, sombre, mal desservie. » Laissez la place à celui qui sait y aller « subrepticement, sur la pointe des pieds » et qui alors aura peut-être la chance de contempler un cincle plongeur…

Leçon de géographie

Premier intérêt de ce livre : une leçon de géographie. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi il n’est pas naturel de situer l’Aubrac et la Margeride sur une carte. J’ai bien traîné sur quelques sentiers pédestres du côté d’Espalion, de Laguiole, de Saint-Flour, et même grimpé le pic Finiels, je ne suis pas en mesure de pointer ces sites du doigt sur une carte routière sans hésiter. Après la lecture, et surtout si vous avez votre atlas sous la main, la Truyère, Ruynes-en-Margeride et le col des Trois-Sœurs vous seront familiers.
Autre intérêt de ce livre : la leçon de vocabulaire. Je dirais même : le son de vocabulaire. On apprendra quelques beaux mots qui ont cours dans cette nature, plus ou moins savants, et aux sonorités très chatoyantes. Les planèzes… Les devèzes striées de murets de pierres sèches. Dans les rivières se coulent les truites, les farios, les vairons, la loche franche, le chabot, le goujon. A l’air libre vivent les vipères péliades, les couleuvres coronelles, le faucon hobereau et le circaète jean-le-blanc.
Leçon de mise en image, enfin : Qui a jamais décrit ainsi la rivière qui coule à ses pieds ? « La montagne se hausse, se délie, se déplie, s’étale, se rapproche du ciel. Le vent se disperse. Le Chapeauroux méandre dans les prairies fleuries où fanent les derniers narcisses, prend de la douceur dans les terres grasses des berges, reflète les frênes dans ses miroirs ou bruisse sur les granits. »

Leçon de vie

Autre intérêt et non des moindres, nous faisons connaissance avec l’auteur, Jean Rodier qui, alors que « la plupart des gens préfèrent descendre les rivières, les suivre dans le bon sens, celui de l’eau qui coule » préfère « les remonter, passer les piémonts, aller jusqu’à l’étage des pelouses, dans l’air vif. » La promenade doit conduire au « ravissement ». Elle consiste à se tourner vers « les belles choses » comme « aller au bord des rivières du Haut Gévaudan, dans ce vallon, dans ce matin, quand la rosée s’évapore, que la terre se réchauffe… » Un antidote au poison pour celui qui pense que le « chaos, par petites touches ou grands soubresauts, contamine le monde, que la pensée partout se heurte à des apories… »
Quant à l’addiction de Jean Rodier, c’est la pêche à la mouche – « c’est plus fort que moi, j’attrape une canne à pêche, capture quelques mouches maison… » Nous prendrons donc également quelques leçons de pêche au passage. Nous apprendrons avec lui à aimer le silence de ces espaces. « Personne. Presque rien. » Et à apprécier ces moments entre deux. « Etre au bord de l’eau, sans canne, y revenir, s’y promener, sentir l’odeur de l’eau, les bords mouillés, sentir le mouvement des insectes, les nuages, la pression atmosphérique, les parfums rabattus par le vent, leur épaisseur, et brusquement avoir envie de pêcher, n’avoir rien de plus pressé que de pêcher… »
Mais ce que nous devons sans aucun doute retenir de ce livre c’est une certaine vision de la nature et de son avenir. « Je pratique volontiers le no kill avec les chevesnes, carpes, gardons, barbeaux, vandoises et autres viles bestioles… De quel droit déciderions-nous de qui doit habiter les ruisseaux, les rivières, les étangs, les biefs abandonnés et les anciens abreuvoirs ? » Autre affirmation : « ce dont les animaux sauvages ont besoin, ce n’est pas d’être apprivoisés, encore moins domestiqués, c’est de rester sauvage… » Devant la Nature l’homme doit cesser « de vouloir toujours intervenir, redresser, rectifier, aligner, aménager, réduire à notre pogne. » Une idée de la Nature qu’il est bon de rappeler.
Un livre de grande poésie. Les nature writers américains ont leurs territoires. Ici, le Montana est en Margeride.

Les premières lignes
« Au sud-est du Massif central, deux promontoires de granit, affleurant pour la Margeride, partiellement recouvert de basalte pour l’Aubrac, constituent, à une altitude moyenne de douze cents mètres, le Haut Gévaudan, délimité à l’est par l’Allier, au sud par le Lot, au nord-nord-ouest par la Truyère, cerné par les laves et les planèzes, poussant vers le midi le ressaut du mont Lozère dont le versant sud est totalement cévenol, et vers le sud-ouest – les roches primaires cédant la place aux roches sédimentaires – les grands causses, Sauveterre et Méjean. » Editions L’Escampette 2010.

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