C’est à quinze ans qu’Henri Mouhot quitte le lycée, laisse ses camarades poursuivre leurs études, décide de devenir non un « voyageur immobile » comme eux mais un « voyageur de l’espace, un corps céleste en mouvement », et de prendre la route. Comme « un Rimbaud avant l’heure. » Et pas n’importe quelle route : la route de Siam.
Cette route passe d’abord par la Suisse puis par Saint-Pétersbourg, où il donne des leçons à deux adolescentes bien éduquées. « Mais cela n’est pas pour lui déplaire. Le sel de la vie, au fond, est de vivre le jour comme un moine et de connaître le soir la vie dissolue d’un bordel. » Il arpente aussi les villes et les campagnes de la Russie tsariste avec un drôle d’appareil : un daguerréotype, et rapporte un des premiers reportages de l’histoire de la photographie.
A Florence, où il se trouve en conférence avec ses clichés, il fait une connaissance qui va orienter sa vie.
« Je suis écossaise. Et je me nomme Ann Park. »
Ann est la nièce d’un célèbre explorateur : Mungo Park.
C’est le coup de foudre et « trois mois plus tard, en la cathédrale d’Edinburgh, Henri Mouhot épouse mademoiselle Ann Park selon le rite anglican. »
Ils s’établissent sur l’île de Jersey, et Henri s’ennuie ferme.
Sur un coup de bluff Henri obtient une mission – et l’argent pour la mener à bien : rapporter du Siam une pièce rare qui manque à la collection royale, un papillon.
Cambodge. 1860. Henri Mouhot traque l’insaisissable « papillon de Siam » au cœur de la jungle, au péril de sa vie. Il le verra de près, il ne pourra jamais de capturer. Mais il fera une autre découverte, remarquable : une cité perdue. Angkor.
« Aucun voyage, depuis des temps immémoriaux, ne s’est jamais révélé inutile. On en retire toujours quelques renseignements scientifiques. Cela s’appelle le progrès. Ce qui élève l’âme et éloigne un peu plus chaque jour l’espèce humaine de l’ignorance et de la bêtise dans laquelle elle patauge avec délices depuis toujours. »
Henri Mouhot est un explorateur. Comme Stanley, comme Savorgnan de Brazza, comme von Humboldt, comme Livingstone. Comme eux il a cherché « une raison de vivre dans la découverte, l’aventure, le voyage, même s’il sait qu’aucun d’eux ne parviendra jamais au terme de sa quête parce qu’il est impossible de capturer son propre reflet dans le miroir. »
La nouvelle de la découverte d’Angkor fait grand bruit en France et en Angleterre, publiée en feuilletons dans les journaux. Ann Mouhot « lui écrit qu’elle est heureuse pou lui et qu’elle souhaite son retour. »
Laissons le lecteur terminer cette histoire, vraie, bien sûr. Henri Mouhot est un personnage trop romanesque pour qu’un écrivain ne se lance pas un jour dans l’aventure et n’écrive ce roman, captivant, comme la quête tragique de son personnage principal.
Les premières lignes : « Novembre 1841. L’hiver est déjà là et la neige tombe en abondance sur la Franche-Comté. Une neige dont les flocons, dans un ballet aérien orchestré par la symphonie du vent, viennent se briser en fines particules immaculées sur les fenêtres du lycée de Montbéliard, dessinant sur les vitres de somptueuses et éphémères arabesques de glace. » Editions Albin Michel 2010.
Chroniques littéraires autour de la littérature de voyage et des écrivains voyageurs.
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