Brasília fête ses 50 ans. L'occasion de lire Planète Brasília de Jean-Yves Loude.
En 1960 Jean-Yves LOUDE feuillette Paris-Match. Le Numéro 581 du 28 mai est consacré à « la capitale que le Brésil vient de se donner » : Brasília. Depuis, l’écrivain n’avait plus qu’une idée en tête : « j’irai à Brasília », « j’ai toujours voulu savoir », « je n’ai jamais oublié Brasília », « je voulais savoir », et enfin « il fallait bien, vois-tu, que j’aille à Brasília. » Cette fois on y est. C’est quoi Brasília ? Un projet idéal, une ville utopique ? Avec quels mots peut-on la décrire? Fierté? Record? Mais aussi espérance? Exclusions? Cœur?
Brasília ville des records
« Les statistiques le prouvent : un voyage a de forte chances de commencer en taxi. A Brasília c’est inévitable. » Les taxis sont des SAMU pour les piétons suffoqués. La ville est celle au monde qui compte le plus de voitures par habitant. Le piéton, le flâneur ont été oubliés. Brasília aurait également le plus grand nombre de piscines privées, et son lac artificiel sera plus grand que la baie de Rio… Est-ce brai ? Est-ce pour faire un pied de nez à la rivale ? Ce serait aussi la ville la plus arborée de la planète. Certain ? L’air de Brasília serait aussi sec que celui du Sahara. Peut-être. C’est assurément une ville sans croisement : le trafic est fluide. Sans compter le ciel : on disait que c’était la mer de Brasilia. Bref : « Brasília n’est pas une ville ordinaire. » Jean-Yves Loude commence sa lettre, il nous écrit pour nous raconter son voyage.
Au début il n’y avait rien…
Au début il n’y avait rien. Le Point Zéro. Puis « une croix que forment deux pistes tracées dans le néant du plateau. » La signature du contrat qui faisait de la future ville la future capitale d’un Pouvoir qui désirait alors s’établir au centre du pays. C’était le rêve, la vision d’un homme : Juscelino Kubitschek. Au pouvoir depuis quelques années, il a lancé le Brésil sur une voie de progrès. Le geste politique fort ne sera rien d’autre que la création d’une nouvelle capitale. Tout fut minutieusement pensé. Les actes, les faits et gestes, les dates, les décisions : tout fut orchestré, millimétré. Le 21 Avril 1960 Brasilia fut officiellement inaugurée. Ce fut un geste extrêmement symbolique. « L’avènement du Brésil moderne impliquait une coupure franche du cordon ombilical avec la mer. Rio n’était plus la capitale.
La ville moderne
Nous avons tous en mémoire des images de Brasília. Des bâtiments modernes, audacieux. Les gratte-ciel du quartier des banques. Les tours jumelles de l’Administration. La cathédrale. Et cet axe monumental. Loude apprécie. « Je ne nierai pas que cet axe donne de la gueule à la ville. Ce vide impératif en impose. » Nous avons tous retenu ce nom : Oscar Niemeyer. L’architecte de la cathédrale de Brasilia. « J’aime sans conteste l’ensemble unique au monde que forment le dôme du Sénat, la coupole renversée de l’Assemblée Nationale et les tours jumelles de l’administration. J’y vois la magistrale interprétation de la complémentarité, l’illustration des oppositions constructives, du dehors-dedans. » Brasília est une capitale de l’architecture moderne. Elle a bénéficié du génie artistique de son époque. C’est aussi un carrefour des cultures. Samba. Et, on l’oublie, un « grand chaudron de la cuisine brésilienne. » Feijoada.
Tout ne va pas bien.
Une fois fait le tour de la ville, de Brasília « viable et civilisée », de son architecture, de ses monuments, de son « décor improbable ou tout fonctionnerait bien », de son histoire, de sa mythologie, Loude se rend à l’évidence : « ce n’est pas vrai. Tout ne va pas bien. » La violence « pousse sur le terreau de la misère périphérique incontrôlée. » Brasília a fait envie. La capitale de l’espérance a attiré du monde. Trop. Deux millions de personnes alors qu’on en avait prévu 500 000. En ce début du XXIe cohabitent un centre ville et une périphérie. Deux « planètes ». Deux populations qui s’ignorent. Si le « plan Pilote » offre un cadre de vie desserré, aéré, qui peut porter au rêve et à la culture ceux qui n’en ont pas égaré les modes d’emploi », il faut bien constater que dans la citadelle « on ignore la population qui vit hors les murs. »
Planète Brasília est une lettre au ton très personnel. Au goût amer. Loude est partagé entre la beauté, l’idée qui sous tendait cette ville, et la réalité. Il raconte un voyage dans une Brasilia elle-même à la recherche de la « Cité du bonheur » qu’elle devait être. L’auteur balance entre émerveillement et indignation. Il constate que si l’architecture de Brasília danse la samba, la « cité idéale » rejette une partie de ses habitants à l’extérieur de ses belles places. Brasilia : une ville utopique dans laquelle beauté et révolte rôdent et se mêlent. Un récit hautement recommandé.
Les premières lignes. « Je m'apprête à quitter Brasília et je ne sais toujours pas ce qui est le plus beau pour moi : la ville ou son histoire, les monuments érigés ou l'épopée de leur construction. Je reste étonné.
- Tu peux aller à Brasília, tu peux aimer ou ne pas aimer, mais tu ne peux pas dire que tu avais déjà vu avant une chose pareille !
C'est l'opinion d'Oscar Niemeyer, l'architecte héros de la ville, et je la partage : oui, je n'ai jamais vu une chose pareille. »
Photographies de Viviane Lièvre.
Tertium éditions 2008 – Collection Pays d’encre / littérature.
La lecture de ce récit peut être complétée par Les Larmes de Rio, de Laurent VIDAL, aux éditions Aubier. Le 20 avril 1960 est pour Rio le dernier jour comme capitale fédérale du Brésil. Le 21 avril le Président Kubitschek fait ses adieux au port dont les Bragances avaient fait leur capitale en 1763. Beaucoup de solennité. Laurent Vidal décrit les moments clés de ce départ, de ce transfert. Passionnant
Chroniques littéraires autour de la littérature de voyage et des écrivains voyageurs.
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