En lisant ce matin le premier article que Sylvain Tesson consacre à son séjour en solitaire au bord du Baïkal (1), je me dis que le « recours aux forêts » ou la « vie dans les bois » ou la « simplicité » sont des concepts à la fois anciens et actuels. Anciens car plusieurs auteurs ont bien sûr déjà traité de ces thèmes ; actuel car l’actualité littéraire – du moins celle qui est au-delà de l’actualité-business que l’on appelle « rentrée littéraire » et qui est quasi purement commercial, mais il faut bien vivre… – rebondit, volontairement ou non, sur ces notions. En attendant le livre que Sylvain Tesson écrira certainement pour nous faire partager son expérience voici un recours aux livres qui traitent de la vie simple, souvent dans les bois.
Il y a en effet pas mal de temps que des écrivains parlent des bienfaits de la « Nature » en opposition à l’agitation du monde « civilisé » que nous avons créé et dans lequel la liberté n’est qu’apparente. La solitude, le froid et le silence sont des valeurs déjà défendues par Henry David Thoreau, par exemple, dans Walden ou la Vie dans les bois, ou tout simplement Walden, comme est titrée une nouvelle traduction (2). Walden, « un très beau livre que tout le monde connaît, ou devrait connaître, et dans lequel il y a de très belle pages sur la solitude » déclare Sylvain Tesson dans la « petite biographie voyageuse » qui lui est consacrée et qui vient de paraître (3). Tout en précisant plus loin que : « on n’a jamais ri en lisant une ligne de Thoreau. » Or « il me semble qu’il y a quelque chose de salutaire pour survivre dans ce bas-monde qui est de pousser de temps en temps un grand éclat de rire. » Si Tesson trouve Thoreau un peu « sinistre » il a cependant fait siens quelques préceptes de l’auteur de Concord. Par exemple : « Je voulais vivre intensément et sucer la moelle de la vie. Et ne pas, quand je viendrai à mourir, découvrir que je n'aurai pas vécu. »
A propos de Thoreau et de la vie dans les bois, on lira un récent livre titré… La Vie dans les bois, de Charles Lane. (4) On apprendra, en lisant la préface de Thierry Gillybœuf, que lorsque « Henry David Thoreau publie Wlden en 1854, livre du retour à la simplicité naturelle qui allait faire sa renommée, il le sous-titre « la vie dans les bois ». Nul doute qu’il avait alors à l’esprit le manifeste éponyme que Charles Lane avait publié dix années plus tôt. » Voici les premières lignes du texte de C. Lane. Auraient-elles pu être écrites par Thoreau, ou par Tesson ? « Combien la vie serait belle, si tous nos ennemis pouvaient être tout simplement éliminés par un bras robuste armé d’une hache ? Or, parmi ces ennemis, il en est un d’allure fort inoffensive, mais qui semble pourtant avoir réussi à enchaîner les hommes, en les conduisant de leur vie libre dans les bois vers une vie de collectivité et de promiscuité. Il est bon de taxer la vie dans la nature de sauvage, barbare et brutale, et de qualifier la vie domestique, que ce soit dans un château fort ou bien dans une cité commerçante, de raffinée, distinguée et noble. Mais ce ne serait sans doute pas une perte de temps que de nous demander si cette affirmation repose ou non sur de véritables fondements. » (4)
Se demander, c’est déjà bien, vivre l’expérience c’est encore mieux. « J’ai envie de finir en cabane » écrivait Sylvain Tesson dans l’un de ses livres. « Mais une cabane de rondins de bois, bien entendu. Je ne quitterai pas cette vie avant d’avoir vécu une expérience qui, à elle seule, comme si elle était un arbre, concentre tous les fruits de la vie vagabonde : la liberté, la solitude, la lenteur, l’émerveillement, la méfiance envers l’humanisme béat… La cabane c’est le vagabondage moins la géographie. La liberté sans le mouvement, l’épanouissement de l’âme par le retranchement du corps. » (6) Dont acte. Entre février et juillet 2010 « Je me suis installé pendant six mois dans une cabane au sud de la Sibérie, sur les bords du Baïkal. Le temps pressait. Avant 40 ans, je m'étais juré de faire l'expérience du silence, de la solitude, du froid. (…) Je rêvais d'une existence resserrée autour de quelques besoins vitaux. Il est si difficile de vivre la simplicité. » (1) La cabane « construite par des géologues soviétiques dans les années brejnéviennes » est « un cube de rondins, de trois mètres sur trois, chauffé par un poêle en fonte. L'isba s'élève sur un cap de la rive ouest du lac Baïkal, dans la réserve naturelle de la Lena, à quatre jours de marche du premier village et à des centaines de kilomètres d'une piste. » C’est là que Tesson va vivre son expérience du « recours aux forêts. » On ne dévoilera pas ici ce que « l’écrivain voyageur » relate de son expérience dans cette chronique. Mais quand même cette magnifique citation pour dire en quelques mots les bienfaits de la solitude et du silence : « J'aurais dû me rendre compte plus tôt que les statues ont l'air apaisées. »
Pour terminer – très provisoirement – sur ces thèmes du retour – ou du recours – à la nature, de la colère ou du désespoir de voir une grande partie de la civilisation s’enferrer dans des considérations matérielles et menée par le bout du nez, de la tentative de trouver – ou de retrouver – une relation équilibrée avec la nature, on pourra se reporter aux propositions d’une « vie simple » prônée par John Burroughs dans L’Art de voir les choses. (5) Né en 1837, John Burroughs était « l’égal de John Muir, il avait des lecteurs plus nombreux que Henry David Thoreau, deux hommes dont il se rapproche par son amour de la nature, de la marche et de la vie simple » écrit Joël Cornuault dans sa présentation. Un recueil de textes qui font part de l’expérience de l’auteur, souvent pleins d’espoir, dont voici les premières lignes. « Je me dois de louer la vie simple, car c’est elle que j’ai vécue et que j’ai trouvée bonne. Dès que je m’en écarte, de funestes conséquences s’ensuivent. Il me plait d’habiter une petite maison, de me vêtir et de vivre dans la simplicité. Beaucoup de gens connaissent le luxe de se baigner nus – de plonger dans l’étang ou la vague, sans se sentir entravés par les vêtements. C’est ce que j’appelle la vie simple – le contact direct et immédiat avec les choses, la vie dépouillée de ses oripeaux –, débarrassée des demeures et des équipages somptueux, ou des tenues coûteuses. Comme on se sent libre, comme on savoure les éléments, comme on les sent proches quand ils épousent votre corps et votre âme ! Voir le feu qui nous réchauffe, ou mieux encore, couper le bois qui nourrit le feu qui nous réchauffe ; voir l’eau qui étanche votre soif jaillir de la source, et y plonger votre seau ; voir les poutres qui stabilisent vos quatre murs et la charpente qui maintient le toit qui vous abrite ; être au contact direct et personnel avec les bases de votre vie matérielle ; n’accumuler ni provisions ni protections ; être capable d’éprouver la suffisance des éléments universels ; se rafraîchir d’une promenade matinale ou d’une balade nocturne ; trouver plus satisfaisante une cueillette de baies sauvages que des fruits des tropiques offerts en cadeau ; s’émouvoir à la vue des étoiles ; exulter devant un nid d’oiseau ou une fleur sauvage printanière – ce sont quelques unes des récompenses que procure une vie simple. » Recette du bonheur selon Tesson : contempler, méditer. « Une fenêtre sur le Baïkal, une table devant la fenêtre. Je vais passer six mois à la mode russe : assis devant le thé, le regard à travers le carreau, la main sur la joue dans la position du Dr Gachet peint par Van Gogh. » Autre mot clé : agir. « Le matin, je lis, j'écris, je fume, apprends de la poésie, je dessine et joue de la flûte. Puis ce sont de longues heures consacrées à la vie domestique: il faut couper le bois, entretenir le trou à eau, déblayer la neige, installer les panneaux solaires, préparer les lignes de pêche, réparer les avanies de l'hiver, griller le poisson. »
J’ai un instant eu l’idée de terminer cette chronique par un péremptoire « à nous de voir ce que nous allons faire de ce samedi après-midi ! » Mais je ne suis pas certain, après une cinquantaine d’années baignées par la « société de consommation », de passer ce samedi après-midi – au demeurant pluvieux – dans la « simplicité ». A défaut de (faire semblant de) donner l’exemple, je propose quelque chose que je sais d’expérience : s’il n’est pas évident d’aller passer quelques jours dans la « forêt », il est facile de lire les livres de Sylvain Tesson et des autres auteurs cités, et j’affirme que l’on y trouvera bien plus de plaisir qu’à la lecture de beaucoup d’autres choses que l’on nos vante et qui ne sont pour la plupart que des produits vendus à grand renfort de publicité et d’incitation à se procurer (mais à lire ?) ce que notre voisin est supposé acheter. Je propose donc pour ce samedi après-midi le plaisir de la littérature. A bon entendeur… bonnes lectures.
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(1) «J'ai vécu six mois en ermite au bord du lac Baïkal», par Sylvain Tesson, le Figaro du 24/09/2010. http://www.lefigaro.fr/voyages/2010/09/25/03007-20100925ARTFIG00002-j-ai-vecu-six-mois-en-ermite-au-bord-du-lac-baikal.php
(2) Walden, de H.D. Thoreau. Traduction de Brice Matthieussent. Éditions Le Mot et le Reste 2010.
(3) L. Bedin / P. Grimault / S. Victor. Sur la route bleue avec Sylvain Tesson. Collection « Petites biographies voyageuses ». Éditions Livres du Monde 2010.
(4) Charles Lane. La Vie dans les bois. Traduit, annoté et présenté par Thierry Gillybœuf. Éditions Finitude 2010.
(5) John Burroughs. L’Art de voir les choses. Pages choisie et traduites par Joël Cornuault. Éditions Fédérop 2007.
(6) Sylvain Tesson. Petit traité sur l’immensité du monde. Éditions des Équateurs 2005.
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