Jean-Noël Schifano aime Naples. Il raconte qu’il était parti pour un week-end sur les traces de son père, et qu’il y est resté plusieurs années. Il y a donc longtemps qu’il a rencontré cette ville, et qu’il la raconte. Dans le Dictionnaire amoureux de Naples (Plon), par exemple, ou Sous le soleil de Naples (Gallimard / Découvertes). Dans Le vent noir ne voit pas où il va - sous titré «Chronique italienne» car ce récit n’est pas uniquement consacré à Naples, mais à toute l’Italie - il est peu plus « pointu » que d’habitude. Pour donner le ton on placera ici deux citations. L’une est citée comme épigraphe, elle est de Pierre Desproges : « Il y a deux sortes d’Italiens : les Italiens du Nord, qui vivent au Nord et les Italiens du Sud qui meurent au Sud. » L’autre est de Schifano : « L’écrivain doit être incorrect, seule façon de créer, surtout à notre époque de trouille molle, de singes tripoteurs et de censures médiatiques omnipotentes. Il faut absolument être incorrect… » (p13) Et plus loin : « Il faut, oui, être absolument incorrect, douter des assourdissants du savoir, des aveuglants de la doctrine, des musclants de la gonflette, des bienpensants de la sébile, écouter les muets, demander ce qu’ils voient aux yeux blancs, serrer la patte aux doigts noirs dont les os vous restent dans la main… » Avec ça, partons…
Au début du livre c’est étrange : on a l’impression que Malaparte écrit à Schifano. Que le temps explose et que les histories se télescopent. En réalité c’est bien Malaparte qui écrit, mais à Schifano le père. Une lettre perdue puis retrouvée. La réponse de Schifano du XXIe siècle à l’auteur de la lettre dans la première moitié du XXe, à « l’ami auteur de La Peau », sera le prétexte de ce livre : un point de vue sur l’Italie d’aujourd’hui, et sur ses fléaux.
Le premier fléau se nomme Lucky Luciano, « roi du débarquement américain », auquel on peut associer mafia et camorra, « les alliées les plus sûres de l’Amérique et de la République italienne qui va accoucher, quand enfin les sans tache et sans reproche Savoie s’exileront en Suisse après avoir razzié les trois quarts des richesses de Naples et du sud de l’Italie. » (p28) La « gigantesque contrebande » venue d’Amérique via l’armée américaine a laissé la place à « la contrebande chinoise avec ces bateaux containers remplis jusqu’au ciel. » (p43) La liberté économique du Nord n’est-elle pas due au Sud « martyrisé », gangstérisé ? (p48)
Le deuxième fléau est le « Rital fortuné » ou « l’Escort Cavalier tasteur de chair fraîche » (p49), auquel on peut rattacher le maire de Rome, qui pratique assidument le salut romain, et les Escort-Ministre court-vêtues qui peuplent les magazines et les plateaux de télévision à la propagande légèrement nauséabonde. Pensez qu’aujourd’hui vous risquez de participer à un délit d’immigration clandestine si vous secourez des nègres qui dérivent dans un bateau brûlé par le soleil. (p94)
« Dans les kiosques à journaux à l’ombre, sous l’aile du Vatican, on vend des posters de Mussolini. » (p61) Le troisième fléau est le Vatican, état sinistre. On apprendra si besoin que Naples était, à l’époque de Stendhal, « la plus grande ville d’Italie, l’une des trois capitales de l’Europe, avec Londres et Paris. » (p72) Dans la seconde moitié du XIXe siècle elle comptait six cent mille habitants, et Rome moins de cent mille. Schifano explique comment Naples fut spoliée de son rôle de capitale. Des vérités et contre-vérités historiques qu’il est bon de rappeler. Comme il est utile de rappeler le rôle et le pouvoir du Vatican. « Aujourd’hui l’Italie est vaticane, avec Rome comme capitale du Vatican. » (p85) Le Vatican « un pays, pour petit qu’il soit – et dont un des leurres est cette quasi-invisibilité –, (qui) joue en virtuose à la fois de l’hostie et de la merde (…) et pour qui la puissance de l’argent n’a pas d’odeur et le pouvoir divin pas de loi humaine. » (p90)
« Par les deux couilles du Pape », sont-ce vraiment « les hommes de Benoit » qui dirigent le pays ? Comment et pourquoi Mama Africa (Miriam Makeba) est-elle morte un soir de novembre 2008 alors qu’elle s’apprêtait à chanter au cœur de la Little Africa pour quelques noirs immigrés clandestins (encore vivants ou déjà morts) ? L’Etat italien est-il criminel, s’il « s’appuie, joue, s’engraisse aux crimes » de quatre organisations mafieuses ? (p114) Cette « unité italienne, qui exploite et exclut, de façon ouverte ou de façon masquée, depuis cent cinquante ans tout ce qui se trouve au sud de Rome » est-elle un leurre, une façade ? Ne faudrait-il pas se réveiller ? (p129)
Ce livre est un pamphlet. Une satire de l’Italie contemporaine ? Oui, écrit avec rage et avec rire, aussi. Le trait est souvent grossi, l’humour est ravageur, pour mieux faire passer la tragi-comédie, l’imposture, les délires du pouvoir, les simulacres, la propagande, la tragédie, l’horreur.
Schifano en profite pour émettre quelques avis sur l’édition contemporaine, « cette adoration sensuelle du livre qui s’avale et se chie aujourd’hui par six centaines tous les six mois comme plats aux recettes lyophilisées » (p20) ou pour fustiger « le commercial qui désormais juge, dans l’édition, en dernière instance, de la lecture passée auparavant à la moulinette juridique » (p22).
Regardez la couverture. Jusqu’au rabat… La tragédie et la beauté. Relisez la citation de Desproges. Oui, pour parler de tout ça l’écrivain doit être incorrect. Absolument incorrect.
Les premières lignes : « Le vieux chalet - Les Plans Chamonix Mont Blanc ce 14 février 1948. Mon cher Schifano, j’espérais te rencontrer ; sur le glacier d’Argentières ou sur la piste de Brévent (sait-on jamais ?) je commence à croire que tu es trop paresseux pour quitter Paris, et ses loisirs. Je suis seul, et ta compagnie me ferait du bien. Je parle aux arbres : mais ce ne sont que des sapins, et ils me disent des choses tristes. On ne peut tout de même pas rester des mois sans parler à un être humain ! » Éditions Fayard 2010.
Au début du livre c’est étrange : on a l’impression que Malaparte écrit à Schifano. Que le temps explose et que les histories se télescopent. En réalité c’est bien Malaparte qui écrit, mais à Schifano le père. Une lettre perdue puis retrouvée. La réponse de Schifano du XXIe siècle à l’auteur de la lettre dans la première moitié du XXe, à « l’ami auteur de La Peau », sera le prétexte de ce livre : un point de vue sur l’Italie d’aujourd’hui, et sur ses fléaux.
Le premier fléau se nomme Lucky Luciano, « roi du débarquement américain », auquel on peut associer mafia et camorra, « les alliées les plus sûres de l’Amérique et de la République italienne qui va accoucher, quand enfin les sans tache et sans reproche Savoie s’exileront en Suisse après avoir razzié les trois quarts des richesses de Naples et du sud de l’Italie. » (p28) La « gigantesque contrebande » venue d’Amérique via l’armée américaine a laissé la place à « la contrebande chinoise avec ces bateaux containers remplis jusqu’au ciel. » (p43) La liberté économique du Nord n’est-elle pas due au Sud « martyrisé », gangstérisé ? (p48)
Le deuxième fléau est le « Rital fortuné » ou « l’Escort Cavalier tasteur de chair fraîche » (p49), auquel on peut rattacher le maire de Rome, qui pratique assidument le salut romain, et les Escort-Ministre court-vêtues qui peuplent les magazines et les plateaux de télévision à la propagande légèrement nauséabonde. Pensez qu’aujourd’hui vous risquez de participer à un délit d’immigration clandestine si vous secourez des nègres qui dérivent dans un bateau brûlé par le soleil. (p94)
« Dans les kiosques à journaux à l’ombre, sous l’aile du Vatican, on vend des posters de Mussolini. » (p61) Le troisième fléau est le Vatican, état sinistre. On apprendra si besoin que Naples était, à l’époque de Stendhal, « la plus grande ville d’Italie, l’une des trois capitales de l’Europe, avec Londres et Paris. » (p72) Dans la seconde moitié du XIXe siècle elle comptait six cent mille habitants, et Rome moins de cent mille. Schifano explique comment Naples fut spoliée de son rôle de capitale. Des vérités et contre-vérités historiques qu’il est bon de rappeler. Comme il est utile de rappeler le rôle et le pouvoir du Vatican. « Aujourd’hui l’Italie est vaticane, avec Rome comme capitale du Vatican. » (p85) Le Vatican « un pays, pour petit qu’il soit – et dont un des leurres est cette quasi-invisibilité –, (qui) joue en virtuose à la fois de l’hostie et de la merde (…) et pour qui la puissance de l’argent n’a pas d’odeur et le pouvoir divin pas de loi humaine. » (p90)
« Par les deux couilles du Pape », sont-ce vraiment « les hommes de Benoit » qui dirigent le pays ? Comment et pourquoi Mama Africa (Miriam Makeba) est-elle morte un soir de novembre 2008 alors qu’elle s’apprêtait à chanter au cœur de la Little Africa pour quelques noirs immigrés clandestins (encore vivants ou déjà morts) ? L’Etat italien est-il criminel, s’il « s’appuie, joue, s’engraisse aux crimes » de quatre organisations mafieuses ? (p114) Cette « unité italienne, qui exploite et exclut, de façon ouverte ou de façon masquée, depuis cent cinquante ans tout ce qui se trouve au sud de Rome » est-elle un leurre, une façade ? Ne faudrait-il pas se réveiller ? (p129)
Ce livre est un pamphlet. Une satire de l’Italie contemporaine ? Oui, écrit avec rage et avec rire, aussi. Le trait est souvent grossi, l’humour est ravageur, pour mieux faire passer la tragi-comédie, l’imposture, les délires du pouvoir, les simulacres, la propagande, la tragédie, l’horreur.
Schifano en profite pour émettre quelques avis sur l’édition contemporaine, « cette adoration sensuelle du livre qui s’avale et se chie aujourd’hui par six centaines tous les six mois comme plats aux recettes lyophilisées » (p20) ou pour fustiger « le commercial qui désormais juge, dans l’édition, en dernière instance, de la lecture passée auparavant à la moulinette juridique » (p22).
Regardez la couverture. Jusqu’au rabat… La tragédie et la beauté. Relisez la citation de Desproges. Oui, pour parler de tout ça l’écrivain doit être incorrect. Absolument incorrect.
Les premières lignes : « Le vieux chalet - Les Plans Chamonix Mont Blanc ce 14 février 1948. Mon cher Schifano, j’espérais te rencontrer ; sur le glacier d’Argentières ou sur la piste de Brévent (sait-on jamais ?) je commence à croire que tu es trop paresseux pour quitter Paris, et ses loisirs. Je suis seul, et ta compagnie me ferait du bien. Je parle aux arbres : mais ce ne sont que des sapins, et ils me disent des choses tristes. On ne peut tout de même pas rester des mois sans parler à un être humain ! » Éditions Fayard 2010.
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