Que reste-t-il de Byblos, la plus vieille cité du monde, dit-on, cette ville qui, faut-il le rappeler, a livré le premier témoignage de notre écriture, cette écriture qui, « après quelques contorsions, sert encore à plus de la moitié des terriens à inscrire sur des feuilles leur génie, leurs mensonges, leurs désirs et leurs musiques, sans oublier leurs sottises »? Byblos, ce sont quelques ruines « qui ne stimulent l'intelligence et les sens que si l'on a du goût pour les rayonnages cachés. » Que ressent-on à sa vue ? « Rien des éblouissements de Baalbek ou de Palmyre. Ces ruines sont une femme voilée assise devant la mer. Il faut venir ici avec son chargement de mythes. »
Voilà l'essentiel de ce que l'on apprendra à la lecture de ce récit de voyage. Byblos est un millefeuille pour archéologues ou matins du monde et d'aujourd'hui superposent des fragments égyptiens, assyriens, babyloniens, perses, grecs, romains, byzantins, arabes, francs. Bref: si le paysage offre quelques belles échappées sur la mer bleue, il vaut mieux savoir où l'on va avant d'y aborder. Mais alors, que trouve-t-on dans ce livre, écrit par un écrivain voyageur, comme il est précisé sur la quatrième de couverture?
Comme souvent dans un bon récit de voyage, du moins les récits contemporains, qui ne peuvent rivaliser avec les reportages télé ou le fait que chacun peut désormais aller voir où et quand il le veut, on en apprend plus sur l'auteur, sur ses sujets de prédilections ou surgis à l'occasion de ce voyage, que sur le voyage proprement dit et sur les lieux visités. Et là il y a matière. Comme le voyage, le livre est un « vagabondage ». L'auteur le dit lui-même: « L'ensemble peut paraître décousu. C'est ma manière. J'aime assembler les éléments qui n'ont pas l'habitude de convoler. »
Le récit dérive très souvent vers de petites dissertations, méditations, sur des sujets divers: l'éducation, la culture, le e muet, les vertus de la récitation, les Écritures, le Temps, l'Amour... On lira donc de très belles pages sur le livre, la lecture, la littérature, son pouvoir (dans le bon sens du terme: « il y a moins de dégâts avec la littérature qu'avec de faux prophètes »), sur l'intérêt qu'il y aurait à fréquenter Rabelais, La Fontaine, Diderot, Rimbaud et d'autres dès le plus jeune âge. Belles réflexions sur la langue, la culture. « L'Histoire est pleine de peuples conquérants aux biceps plus impressionnants que la culture. Leurs empires tombent vite. » Quelques analyses - plus discutables à mon avis, mais ça n'est que mon avis - sur l'Europe et la nécessité d'avoir une langue commune autre que l'anglais.
Et le voyageur dans tout ça? Pour l'auteur, le voyageur doit rester vacant. « Soyons vacant, nous saisirons le murmure des choses. » Cette vacance, ce vide, si important pour certaines cultures, n'est pas un état naturel dans nos sociétés. Et pourtant, pour le voyageur, quoi de mieux que cet état de disponibilité, de « poétique sans colle aux pieds? »
Un autre mot qui découle de cette lecture : humour. Rendre la connaissance ludique, utiliser l'humour comme épice, sont bien des volontés de l'auteur, qui ne s'en prive pas. Ce qui rend la lecture très agréable (apprendre en s'amusant). Et il y a parfois des fins de paragraphes qui sont ponctués de chutes étonnantes, des pirouettes complètement décalées, qui remettent en place les idées trop sérieuses. Ou qui offrent d'autres perspectives. Sans parler du glossaire, liste de mots existants mais avec des définitions un peu spéciales, ou donnant la définition des néologismes du cru, comme ce très beau « vénusté », grâce, beauté digne de Vénus.
Un matin à Byblos est donc l'un de ces « petits livres dont la chute ne fait pas mal aux pieds » mais qui renferme suffisamment de matière pour, une fois arrivé au terme, y revenir, réfléchir, creuser, discuter. « Pour écrire un livre, comme pour dénouer une pelote, il suffit de trouver le bon bout. Ensuite on tire. » Pour la lecture c'est un peu pareil, le lecteur est ici tiré, très facilement, très aisément, par un contenu intéressant présenté avec une langue recherchée, travaillée mais sans être exigeante, sans demander le recours aux dictionnaires, sans pédanterie, sans effets inutiles. Une belle langue, qui réconcilie avec la lecture. Pour dire autrement : on peut proposer des textes de qualité sans ennuyer le lecteur. Ce livre est le contre exemple de ceux qui pensent que l'on doit niveler la culture par le bas.
Les premières lignes: « Il existe, au bord d'une mer qui fut le nombril du monde, une ville qui porte le nom de Livre. C'est une ville de chevet puisqu'elle a veillé sur les rêves des hommes pendant plus de sept mille ans. Il est dans l'ordre des choses que Byblos soit considérée comme la plus ancienne des villes. Elle s'étend sur un tertre rocheux de dix hectares; elle possède la forme d'un oeil qui domine la mer et regarde le ciel sans ciller. »
Éditions du Rocher 2005
Chroniques littéraires autour de la littérature de voyage et des écrivains voyageurs.
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