L’envie de partir naitrait autant et à la fois d’une soumission à ses racines qu’à une volonté d’indépendance. C’est ce qu’explique Sébastien avec la « parabole » du missionnaire pèlerin qui réunit sa foi et son héritage paternel. Nous avons tous une maison, un passé qui a résonné d’histoires de voyages en des terres plus ou moins lointaines. Ces histoires, associées à nos lectures et à nos propres découvertes – le salon, le jardin, la rue, le quartier, la ville… – débouchent inévitablement sur quelques questions comme : qui es-tu ? D’où viens-tu ? Que rêves-tu d’être désormais ? Et si « l’errance est une tension nécessaire à l’individu », le départ est alors inéluctable. Ce sera Ushuaia. Mais la destination du premier voyage n’est pas le principal. « Je voulais expérimenter la plus banale des liberté, celle d’un jeu avec mon identité. L’exotisme de la Terre de Feu ne m’intéressait pas. Je souhaitais choisir la voie. »
La question du pourquoi semble réglée : tester ce fameux concept de « liberté » et trouver son propre chemin. Inventer son épopée personnelle. Ajoutons d’autres arguments : de nos jours il resterait le choix entre les projets « socialement conformes » dans « un monde fini » et le rejet de cet avenir. Ce rejet peut passer par le départ, le voyage. Aller se frotter à l’ailleurs, à l’autre, pourrait être salvateur. Se « confronter à l’espace », aller voir ce qu’il reste d’inconnu, au « vent de routes nouvelles. » Selon Sébastien, le voyage est « un acte fondateur » ; partir est un manifeste, un message, un « défi exprimé à l’égard de notre système », une façon d’exprimer une « défiance vis-à-vis de sa communauté d’appartenance », une « mystérieuse recherche du bonheur ». Il reste que si le départ peut être « une réponse à la tendance déshumanisante des sociétés modernes » il faut veiller à ne pas quitter un système pour retomber dans un autre. « Et si nous, apôtres des ruptures itinérantes, n’étions pas libres, mais les victimes de nos utopies ? »
Autre question : Prend-on un risque à partir ? On apprendra que les voyageurs, même les plus fous, comme celles et ceux qui tentent des traversées très engagées et à la limite (Pacifique à la rame, pôle en solitaire…) « n’aspirent pas délibérément au risque gratuit. » En réalité, partir permettrait de « renouer » avec le « risque », qui aurait disparu de nos sociétés bardées d’assurances, de risque zéro, de principes de précautions, et dans lesquelles même la mort a disparu, hors de nos peurs. Le voyageur trouverait de la jouissance à se démunir de toutes ces certitudes et à vaincre les frontières du danger.
Sébastien Jallade poursuit par l’analyse de quelques autres questions ou notions, comme la toponymie, – la lecture en chambre d’un atlas est à l’origine de bien des départs –, l’exotisme et le dépaysement, ou plutôt : leur fin ; l’expérience de l’altérité, cet « autre si convoité », la relation entre ceux qui restent et celui qui s’en va, le nomadisme comme « représentation du monde », la quête spirituelle. Laissons le lecteur découvrir ces réflexions, souvent ponctuées de citations épatantes, comme « La pérégrination marque le pouvoir de l’imagination » pour arriver à cette conclusion : « L’appel de la route est un mouvement sans fin. C’est un chant du départ, un éloge des commencements et des utopies vagabondes, celles qui se mesurent en kilomètres. Voyager, c’est marquer une distance : à soi, vis-à-vis de sa famille et de sa société d’origine. » Texte très riche – il serait plus lisible avec des chapitres mieux marqués – cet Appel de la route apporte des réflexions et des réponses personnelles très intéressantes. Le livre est d’un format et d’un poids qui ne posent aucun problème pour le sac à dos.
Les premières lignes. « C’est par surprise que nous prennent les grands départs. Ils puisent sans crier gare dans le chaos exubérant de nos désirs et de nos ambitions. Chacun convoque son appétit d’horizons nouveaux comme on arpente son territoire de chasse. Ma frontière, je la forge dans le bain des pionniers du Nouveau Monde : Le Grand Sud patagon, parent ignoré de son cousin du nord, le Far West, mais porteur des mêmes idéaux. Des territoires si vides qu’ils s’emplissent du bruit de la moindre des utopies humaines. Editions Transboréal 2009.
S. JALLADE. L'Appel de la route. Éditions Transboréal |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.